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Ceci pour rebondir sur l'intervention de Monsieur Driss Ghali, auteur de "Français ouvrez les yeux". Et en particulier concernant "la jeunesse des zones de non-droit"

Voici un dialogue avec des jeunes 16/25 ans lors d'une sortie en Ardèche, dans le cadre d'une expérimentation menée dans le 9*3 sud entre 1992 et 1995. Il me semble que cette enregistrement à quelque chose à voir avec les propos de l'auteur invité sur Radio sud.

Ceci pour rebondir sur l'intervention de Monsieur Driss Ghali, auteur de "Français ouvrez les yeux". Et en particulier concernant "la jeunesse des zones de non-droit"

- Et comment vous voyez l’avenir ? Interroge un formateur pour lancer la discussion.

Puis de laisser les étudiants échanger sans tabou et en toute confiance, malgré la présence de l’équipe d’encadrement.

- Moi, je vois une femme française !

- Sans rire, pour nous, l’avenir, on ne le voit même pas.

- On le voit noir. Enchaîne Tuhan. J’ai du mal à écrire, j’ai du mal à lire, à parler. Qu’est ce que tu veux que je fasse ? En arrivant des camps de réfugiés, ou je suis resté seul de l’âge de cinq à dix ans, j’ai essayé. On m’a collé à l’école où la maîtresse n’aimait pas les jaunes.

- C’est vrai, tas pas eu de bol. Moi, j’ai une gueule d’arabe, c’est pareil. Il faut faire avec. Il faut se bouger. Regarde les formateurs, la plupart en ont bavé et ils sont là à l’arrivée. Ils gagnent leur vie, nous balade en Ardèche. Travail, je n’sais pas, fais quelque chose.

- Mais du travail y’en n’a pas pour des gars comme moi à part l’esclavage. Poursuit Tuhan. À seize ans, je travaillais à l’usine, comme un chien. Quatre mille francs par mois, huit heures par jour, comme un chien j’te dis. À la chaîne mon pote. Pour m’en sortir, j’ai fait des conneries à côté. Qu’est ce que tu fais avec quatre milles pour vivre, avec ta mère et ton petit frère qui ne peuvent pas travailler, tu fais quoi ?

- Ouais, la chourave c’est facile, tout le monde peut voler, mais tu ne peux pas vivre avec ça.

- Regarde Samir, quand je suis arrivé en France, ma mère ne travaillait pas. Il y avait des gars qui avaient deux ans de moins que moi, ils avaient des Adidas alors que j’avais des pompes à vingt-cinq balles.

- Et alors, tu manges chez toi.

- Déjà, t’es un bridé. On te regarde de travers. Alors si t’es mal habillé, j’te raconte pas. C’est même pas la peine de discuter. Quant à mes godasses, elles étaient trouées, mes chaussettes aussi elles étaient trouées. Je saignais des pieds quand je marchais. Alors les Adidas, je les ai braquées. Toi aussi tu vis chez tes parents, mais ton père a du taf et ça fait longtemps qu’il est ici.

- Arrêtez de vous plaindre. Regardez Viendra, il a subi les pires horreurs au Sri Lanka, mais voilà, il est là. Il est content d’être là, loin de la police et des militaires qui l’ont torturé en lui brûlant le corps avec des cigarettes. Est-ce qu’il a été voler ?

- Ici il n'est pas vivre difficile comme là-bas, explique l’intéressé.

- Pour le moment. Parce que tu viens d’arriver.

- À Nanterre, poursuit Samir, dans les bidonvilles et tout ça, ils étaient des milliers, ils travaillaient, ils vivaient dans des baraquements tout pélinches. Mes parents ont vécu là-bas, dans une roulotte. Ils ne volaient pas.

- Oui, c’étaient les bougnoules. Après ce sont les jaunes, après les noirs… Tu trouves ça normal ? Moi je ne l’accepte pas.

- D’accord, mais il n’empêche que tu es ici. Alors il faut faire avec, en gardant ta dignité. Sans coller la honte à ta mère parce que tu voles. Et ton petit frère, tu y as pensé à ton petit frère, à l’exemple que tu lui donnes ?

- Le problème aujourd’hui, surenchéri Saci, c’est que les douze-treize ans font des choses que l’on a osé faire à dix-huit-vingt ans. Ils fument des pétards gros comme ça, ils boivent, ils volent des voitures. Y’a même plus de respect. Ils te disent d’aller te faire enculer, nik ta mère. Regardes dans les écoles, le prof dit un mot de travers, il se fait dépouiller.

- Mais pourquoi ? Pourquoi ? D’abord, c’est un problème d’éducation.

- Une daronne, toute seule, avec trois mômes, elle ne peut pas s’en sortir. Elle ne peut pas s’en occuper correctement. Elle n’a pas les moyens, comme dans les beaux quartiers, de se faire aider par des boniches.

- Il n’y a pas que ceux-là. Il y a ceux qui frappent leurs parents.

- On devrait leur donner l’exemple, on devrait faire plein de choses pour les plus petits au lieu de glander, parce que pour nous, c’est foutu. À vingt-trois ans, je suis foutu. Je n’ai rien entre les mains.

- Loin de là Samir. À vingt-trois ans, tout est encore possible. Rêve toi et marche mon frère et tu iras bien plus loin que tu ne l’imagines aujourd’hui. C’est l’âge que j’avais à ma dernière sortie de prison. Douze ans plus tard, je suis là, avec vous, dans le costard d’un dirlo. Et tu n’es pas plus con que je ne l’étais. Alors bien sûr, il ne faut pas vous attendre à ce que les choses viennent toutes seules. Bosser, bosser... Chaque petite réalisation, même infime, est une pierre à ton édifice. On ne progresse que par la multiplication des petites victoires. C'est un peu comme si tu mettais de l'argent de côté, c'est une épargne qui te rapportera des intérêts un jour ou l'autre. Toutes les expériences sont bonnes. Évite surtout de te dire : je vais réussir tout de suite. À moins d'un coup de bol incroyable, attends-toi d'abord à ramer, ramer, ramer. La course contre la montre est un piège. Fais-toi du temps un allier. Dis-toi par exemple, à trente, trente-cinq ans, je commencerais seulement à rendre des fruits. D'ici là, je suis à l'école, tout ce que je fais, je le fais pour apprendre, pour forger mon expérience. Les choses sérieuses viendront après. Pour le moment ce n’est que de l’entraînement.  Et de l'entraînement dépendent les performances.

- Mais y’a pas de travail, lance Abdallah.

- Si, il y a du travail, lui répond Samir.

- Quel travail ? Si c’est pour faire manutentionnaire toute ta vie, méprisé par ton patron ou le chefaillon de service, pire qu’un chien, et rentrer le soir dans ton HLM, avec des murs pas plus épais que ça, laisse tomber. Des murs dédoublés à cause des mallettes qu’ils se refilent et qu'ils ne remboursent jamais, même quand ils se font prendre. En attendant, c'est nous qui vivons là-dedans. J’vais pas me cogner soixante piges d’une vie pareille, plutôt crever !

- De toute façon, pour le moment, on a “Décolton”, l’Ardèche… On Kif !

- On retourne plus sur Paris. C’est trop la misère.

- La misère, enchaîne Mourad, j’te ramène dans l’hôtel de merde où je galère, tu vas voir la misère. J’gagne deux milles, j’les donne tout chaud à l’hôtel. Ça fait sept mois, quatorze milles bales, tu te rends compte ? Des fois, je mange, des fois, je ne mange pas. Sur la vie d’ma mère ! C’est ça qu’on dit chez nous. Heureusement qu’il y a des gens parfois, des gens bien quoi. Du pain…

- Ouais mais des gens comme ça, c’est plutôt rare. Les autres, ils se font trop des films. L'image que les gens ont de nous, ils se la font avec la télé. Ils entendent un bruit dehors, ça monte dans leurs têtes, ils voient les infos par-dessus, ça fait un p’tit mélange et c’est parti. C'est comme ça qu'on a une mauvaise image.

- Et l'image ne correspond pas à la réalité ? Demande le directeur adjoint.

- Non, pas tellement. Ils partent de l'image qu'on leur donne de nous. Ils ne partent pas de nos réalités. Ils partent des conneries qu'on a pu faire, mais pas des raisons pour lesquelles on a fait des conneries.

- Ne vous êtes-vous jamais demandé si ce n'est pas vous qui êtes la cause aussi de la merde dans laquelle vous êtes ? C'est trop facile de dire, c'est les autres, l’état, l'école, les parents, les flics, l'administration, les fachos et ainsi de suite. Et après ? Une fois qu'on a dit ça, que fait-on ? Le flic, le facho et ainsi de suite ? Je suis désolé les mecs, n'êtes-vous pas un peu responsable de ce qui vous arrive ? C'est facile de vous poser sans cesse en victime. En réalité, vous êtes aussi fautifs que les autres. Vous avez les boules ?! Aussi sec vous prenez exemple sur vos bourreaux.

- Mais dirlo, on est en l'an 2000 bientôt.

- Hé alors ! Cela ne t'empêche pas de prendre tes responsabilités. À vingt ans, on doit bouger mon pote ! Au lieu de pleurer sur ton sort.

- La preuve, on est là. C'est bien parce qu'on a voulu bouger. Parce que moi je sais qu'il y a beaucoup de jeunes de mon âge qui squattent dans les cités, en train de glander, en train d'essayer de voler des gens. Et bien moi, je suis là parce que je veux m'en sortir.

- C'est vrai que la société dans laquelle vous vivez est pourrie jusqu’à la moelle. Mais si on regarde la centaine de jeunes qui fréquentent “Décolton”, tu reconnaîtras qu'il y en a pas mal qui déconnent.

- Et bien moi, je peux te dire qu'il y a beaucoup de jeunes qui ont arrêté de faire certaines conneries depuis qu'ils sont là. Sérieusement ! Pourquoi ? Parce qu'à “Décolton” on peut parler, dialoguer... Non, ce n’est pas toujours notre faute.

- Je n'ai pas dit que c'était toujours de votre faute. Je dis seulement que je vous entends toujours vous plaindre de la société, mais je ne vous entends pas, vous-même, vous remettre en cause. Il vaut mieux se juger soi-même plutôt que de laisser aux autres le soin de le faire à votre place.

- Mais dirlo, tout le monde critique la société, il n'y a pas que les délinquants qui critiquent la société.

- Moi aussi je critique la société comme vous dites, mais j'essaie de faire quelque chose. La société, elle me fait gerber, ou plutôt, ceux qui tirent les ficelles pour vous étrangler. Cela dit, c'est nous qui pouvons la changer cette société. Si, vous le pouvez, vous aussi.

- Mais c'est dur, c'est dur.

- Pas autant que vous le supposez. Le voisin de palier, avec son treillis et son berger, le gardien de l'immeuble, la petite vieille avec ses jumelles, l'épicier du coin qui se met à l’aise avec les poulets pour couvrir ses petits trafics, ce sont vos frères au fond. C'est par cette idée qu'il faut commencer. D'après ce que j'entends dans vos bouches, et c'est tout à votre honneur, la famille, c'est sacré. C'est pareil pour les habitants de vos cités. Considérez qu'ils sont sacrés, au même titre que vos petits frères. Et vous verrez de quelle puissance vous vous chauffez.

- Mais y'a vachement de racisme dans les cités. Et puis, les çais-fran nous ont envahis, on ne peut pas oublier ce qu'ils ont fait à nos parents.

- Vengeance ! Re-vengeance ! Combien de temps cela va-t-il encore durer ? Si tu regardes bien, tous les peuples ont les mains pleines de sang. Tous les peuples de la terre qui ont constitué l'enfance et l'adolescence de l'humanité ont quelque chose à se reprocher du côté de la cruauté. Mais c'est le propre des enfants que d'êtres cruels. On s'est tous envahi à tour de rôle. Vous, les calots, nous, les çais-franc, c'est kif-kif bourricot. On a tous merdé. Qui peut prétendre aujourd'hui donner des leçons ? Qui ? Quel peuple ? Quelle religion ? Quel système de pensée ? Délire collectif, assassinats, viols, esclavagisme, saloperies en tout genre, que nous soyons blancs, jaunes, noirs ou bistre de homard, je crois qu'on a largement fait le tour de la question. Allons-nous perpétrer encore longtemps les conneries de nos parents ? Elle est là la question.

- C'est vrai ça, dirlo, on a tous merdé à un moment donné. Pourtant, on a tous envie de la même chose au bout du compte.

- Une idée me vient. Si chaque peuple a beurré sa tartine avec la marmelade des pires horreurs, chaque peuple aussi a su briller dans quelque chose. Et si l'on numérisait chaque nation, chaque civilisation, et que nous gardions le film positif de chacune d'elles. Superposés, peut-être ces films donneraient-ils une image en couleur dans laquelle tout le monde se reconnaîtrait, comme un fil conducteur, pour éviter la terreur, pour imprimer un nouvel élan à l'humanité, enfin devenue adulte. Aller les mecs, c’est l’heure du bain de minuit. Quant à faire des trucs pour les mômes, chiches ! Je vous prends au mot. Lorsqu’on rentre à “Décolton”, on organise une collecte de fournitures scolaires pour les gosses dans la daube à Montreuil.

- Et comment vous voyez l’avenir ? Interroge un formateur pour lancer la discussion.

Puis de laisser "les étudiants" échanger sans tabou et en toute confiance, malgré la présence de l’équipe d’encadrement.

- Moi, je vois une femme française !

- Sans rire, pour nous, l’avenir, on ne le voit même pas.

- On le voit noir. Enchaîne Tuhan. J’ai du mal à écrire, j’ai du mal à lire, à parler. Qu’est ce que tu veux que je fasse ? En arrivant des camps de réfugiés, ou je suis resté seul de l’âge de cinq à dix ans, j’ai essayé. On m’a collé à l’école où la maîtresse n’aimait pas les jaunes.

- C’est vrai, tas pas eu de bol. Moi, j’ai une gueule d’arabe, c’est pareil. Il faut faire avec. Il faut se bouger. Regarde les formateurs, la plupart en ont bavé et ils sont là à l’arrivée. Ils gagnent leur vie, nous balade en Ardèche. Travail, je n’sais pas, fais quelque chose.

- Mais du travail y’en n’a pas pour des gars comme moi à part l’esclavage. Poursuit Tuhan. À seize ans, je travaillais à l’usine, comme un chien. Quatre mille francs par mois, huit heures par jour, comme un chien j’te dis. À la chaîne mon pote. Pour m’en sortir, j’ai fait des conneries à côté. Qu’est ce que tu fais avec quatre milles pour vivre, avec ta mère et ton petit frère qui ne peuvent pas travailler, tu fais quoi ?

- Ouais, la chourave c’est facile, tout le monde peut voler, mais tu ne peux pas vivre avec ça.

- Regarde Samir, quand je suis arrivé en France, ma mère ne travaillait pas. Il y avait des gars qui avaient deux ans de moins que moi, ils avaient des Adidas alors que j’avais des pompes à vingt-cinq balles.

- Et alors, tu manges chez toi.

- Déjà, t’es un bridé. On te regarde de travers. Alors si t’es mal habillé, j’te raconte pas. C’est même pas la peine de discuter. Quant à mes godasses, elles étaient trouées, mes chaussettes aussi elles étaient trouées. Je saignais des pieds quand je marchais. Alors les Adidas, je les ai braquées. Toi aussi tu vis chez tes parents, mais ton père a du taf et ça fait longtemps qu’il est ici.

- Arrêtez de vous plaindre. Regardez Viendra, il a subi les pires horreurs au Sri Lanka, mais voilà, il est là. Il est content d’être là, loin de la police et des militaires qui l’ont torturé en lui brûlant le corps avec des cigarettes. Est-ce qu’il a été voler ?

- Ici il n'est pas vivre difficile comme là-bas, explique l’intéressé.

- Pour le moment. Parce que tu viens d’arriver.

- À Nanterre, poursuit Samir, dans les bidonvilles et tout ça, ils étaient des milliers, ils travaillaient, ils vivaient dans des baraquements tout pélinches. Mes parents ont vécu là-bas, dans une roulotte. Ils ne volaient pas.

- Oui, c’étaient les bougnoules. Après ce sont les jaunes, après les noirs… Tu trouves ça normal ? Moi je ne l’accepte pas.

- D’accord, mais il n’empêche que tu es ici. Alors il faut faire avec, en gardant ta dignité. Sans coller la honte à ta mère parce que tu voles. Et ton petit frère, tu y as pensé à ton petit frère, à l’exemple que tu lui donnes ?

- Le problème aujourd’hui, surenchéri Saci, c’est que les douze-treize ans font des choses que l’on a osé faire à dix-huit-vingt ans. Ils fument des pétards gros comme ça, ils boivent, ils volent des voitures. Y’a même plus de respect. Ils te disent d’aller te faire enculer, nik ta mère. Regardes dans les écoles, le prof dit un mot de travers, il se fait dépouiller.

- Mais pourquoi ? Pourquoi ? D’abord, c’est un problème d’éducation.

- Une daronne, toute seule, avec trois mômes, elle ne peut pas s’en sortir. Elle ne peut pas s’en occuper correctement. Elle n’a pas les moyens, comme dans les beaux quartiers, de se faire aider par des boniches.

- Il n’y a pas que ceux-là. Il y a ceux qui frappent leurs parents.

- On devrait leur donner l’exemple, on devrait faire plein de choses pour les plus petits au lieu de glander, parce que pour nous, c’est foutu. À vingt-trois ans, je suis foutu. Je n’ai rien entre les mains.

- Loin de là Samir. À vingt-trois ans, tout est encore possible. Rêve toi et marche mon frère et tu iras bien plus loin que tu ne l’imagines aujourd’hui. C’est l’âge que j’avais à ma dernière sortie de prison. Douze ans plus tard, je suis là, avec vous, dans le costard d’un dirlo. Et tu n’es pas plus con que je ne l’étais. Alors bien sûr, il ne faut pas vous attendre à ce que les choses viennent toutes seules. Bosser, bosser... Chaque petite réalisation, même infime, est une pierre à ton édifice. On ne progresse que par la multiplication des petites victoires. C'est un peu comme si tu mettais de l'argent de côté, c'est une épargne qui te rapportera des intérêts un jour ou l'autre. Toutes les expériences sont bonnes. Évite surtout de te dire : je vais réussir tout de suite. À moins d'un coup de bol incroyable, attends-toi d'abord à ramer, ramer, ramer. La course contre la montre est un piège. Fais-toi du temps un allier. Dis-toi par exemple, à trente, trente-cinq ans, je commencerais seulement à rendre des fruits. D'ici là, je suis à l'école, tout ce que je fais, je le fais pour apprendre, pour forger mon expérience. Les choses sérieuses viendront après. Pour le moment ce n’est que de l’entraînement.  Et de l'entraînement dépendent les performances.

- Mais y’a pas de travail, lance Abdallah.

- Si, il y a du travail, lui répond Samir.

- Quel travail ? Si c’est pour faire manutentionnaire toute ta vie, méprisé par ton patron ou le chefaillon de service, pire qu’un chien, et rentrer le soir dans ton HLM, avec des murs pas plus épais que ça, laisse tomber. Des murs dédoublés à cause des mallettes qu’ils se refilent et qu'ils ne remboursent jamais, même quand ils se font prendre. En attendant, c'est nous qui vivons là-dedans. J’vais pas me cogner soixante piges d’une vie pareille, plutôt crever !

- De toute façon, pour le moment, on a “Décolton”, l’Ardèche… On Kif !

- On retourne plus sur Paris. C’est trop la misère.

- La misère, enchaîne Mourad, j’te ramène dans l’hôtel de merde où je galère, tu vas voir la misère. J’gagne deux milles, j’les donne tout chaud à l’hôtel. Ça fait sept mois, quatorze milles bales, tu te rends compte ? Des fois, je mange, des fois, je ne mange pas. Sur la vie d’ma mère ! C’est ça qu’on dit chez nous. Heureusement qu’il y a des gens parfois, des gens bien quoi. Du pain…

- Ouais mais des gens comme ça, c’est plutôt rare. Les autres, ils se font trop des films. L'image que les gens ont de nous, ils se la font avec la télé. Ils entendent un bruit dehors, ça monte dans leurs têtes, ils voient les infos par-dessus, ça fait un p’tit mélange et c’est parti. C'est comme ça qu'on a une mauvaise image.

- Et l'image ne correspond pas à la réalité ? Demande le directeur adjoint.

- Non, pas tellement. Ils partent de l'image qu'on leur donne de nous. Ils ne partent pas de nos réalités. Ils partent des conneries qu'on a pu faire, mais pas des raisons pour lesquelles on a fait des conneries.

- Ne vous êtes-vous jamais demandé si ce n'est pas vous qui êtes la cause aussi de la merde dans laquelle vous êtes ? C'est trop facile de dire, c'est les autres, l’état, l'école, les parents, les flics, l'administration, les fachos et ainsi de suite. Et après ? Une fois qu'on a dit ça, que fait-on ? Le flic, le facho et ainsi de suite ? Je suis désolé les mecs, n'êtes-vous pas un peu responsable de ce qui vous arrive ? C'est facile de vous poser sans cesse en victime. En réalité, vous êtes aussi fautifs que les autres. Vous avez les boules ?! Aussi sec vous prenez exemple sur vos bourreaux.

- Mais dirlo, on est en l'an 2000 bientôt.

- Hé alors ! Cela ne t'empêche pas de prendre tes responsabilités. À vingt ans, on doit bouger mon pote ! Au lieu de pleurer sur ton sort.

- La preuve, on est là. C'est bien parce qu'on a voulu bouger. Parce que moi je sais qu'il y a beaucoup de jeunes de mon âge qui squattent dans les cités, en train de glander, en train d'essayer de voler des gens. Et bien moi, je suis là parce que je veux m'en sortir.

- C'est vrai que la société dans laquelle vous vivez est pourrie jusqu’à la moelle. Mais si on regarde la centaine de jeunes qui fréquentent “Décolton”, tu reconnaîtras qu'il y en a pas mal qui déconnent.

- Et bien moi, je peux te dire qu'il y a beaucoup de jeunes qui ont arrêté de faire certaines conneries depuis qu'ils sont là. Sérieusement ! Pourquoi ? Parce qu'à “Décolton” on peut parler, dialoguer... Non, ce n’est pas toujours notre faute.

- Je n'ai pas dit que c'était toujours de votre faute. Je dis seulement que je vous entends toujours vous plaindre de la société, mais je ne vous entends pas, vous-même, vous remettre en cause. Il vaut mieux se juger soi-même plutôt que de laisser aux autres le soin de le faire à votre place.

- Mais dirlo, tout le monde critique la société, il n'y a pas que les délinquants qui critiquent la société.

- Moi aussi je critique la société comme vous dites, mais j'essaie de faire quelque chose. La société, elle me fait gerber, ou plutôt, ceux qui tirent les ficelles pour vous étrangler. Cela dit, c'est nous qui pouvons la changer cette société. Si, vous le pouvez, vous aussi.

- Mais c'est dur, c'est dur.

- Pas autant que vous le supposez. Le voisin de palier, avec son treillis et son berger, le gardien de l'immeuble, la petite vieille avec ses jumelles, l'épicier du coin qui se met à l’aise avec les poulets pour couvrir ses petits trafics, ce sont vos frères au fond. C'est par cette idée qu'il faut commencer. D'après ce que j'entends dans vos bouches, et c'est tout à votre honneur, la famille, c'est sacré. C'est pareil pour les habitants de vos cités. Considérez qu'ils sont sacrés, au même titre que vos petits frères. Et vous verrez de quelle puissance vous vous chauffez.

- Mais y'a vachement de racisme dans les cités. Et puis, les çais-fran nous ont envahis, on ne peut pas oublier ce qu'ils ont fait à nos parents.

- Vengeance ! Re-vengeance ! Combien de temps cela va-t-il encore durer ? Si tu regardes bien, tous les peuples ont les mains pleines de sang. Tous les peuples de la terre qui ont constitué l'enfance et l'adolescence de l'humanité ont quelque chose à se reprocher du côté de la cruauté. Mais c'est le propre des enfants que d'êtres cruels. On s'est tous envahi à tour de rôle. Vous, les calots, nous, les çais-franc, c'est kif-kif bourricot. On a tous merdé. Qui peut prétendre aujourd'hui donner des leçons ? Qui ? Quel peuple ? Quelle religion ? Quel système de pensée ? Délire collectif, assassinats, viols, esclavagisme, saloperies en tout genre, que nous soyons blancs, jaunes, noirs ou bistre de homard, je crois qu'on a largement fait le tour de la question. Allons-nous perpétrer encore longtemps les conneries de nos parents ? Elle est là la question.

- C'est vrai ça, dirlo, on a tous merdé à un moment donné. Pourtant, on a tous envie de la même chose au bout du compte.

- Une idée me vient. Si chaque peuple a beurré sa tartine avec la marmelade des pires horreurs, chaque peuple aussi a su briller dans quelque chose. Et si l'on numérisait chaque nation, chaque civilisation, et que nous gardions le film positif de chacune d'elles. Superposés, peut-être ces films donneraient-ils une image en couleur dans laquelle tout le monde se reconnaîtrait, comme un fil conducteur, pour éviter la terreur, pour imprimer un nouvel élan à l'humanité, enfin devenue adulte. Aller les mecs, c’est l’heure du bain de minuit. Quant à faire des trucs pour les mômes, chiches ! Je vous prends au mot. Lorsqu’on rentre à “Décolton”, on organise une collecte de fournitures scolaires pour les gosses dans la daube à Montreuil.

 

(À propos des idées reçue)

C'est facile de leur taper sur la tête

Encore faut-il accepter d'ouvrir les yeux

Ainsi que les oreilles

(Cette remarque ne vise pas Monsieur Driss Ghali

dont j'ai apprécié l'intervention)

 

 

L'histoire de cette épopée combattue tient dans cet essais

Ceci pour rebondir sur l'intervention de Monsieur Driss Ghali, auteur de "Français ouvrez les yeux". Et en particulier concernant "la jeunesse des zones de non-droit"

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