par Jean-Dominique Michel.
Le texte que je partage ici avec vous grâce à la bienveillance de son auteur, m’a transpercé et ébloui. Comme je lui ai écrit, j’ai mis plusieurs heures à me remettre de sa lecture.
Dieu sait pourtant si l’époque, dans sa folie, a été propice à susciter des réflexions et de mises en perspectives de qualité, dont j’ai eu l’honneur de re-publier un petit nombre sur ce blog. Et puis il y a des textes, parfois, d’une clarté qui atteint à l’incandescence, portés par un souffle rare, qui illuminent le champ de vision du lecteur. Celui-ci est de ceux-ci.
Il me faudrait des pages pour présenter Michel Maffesoli, un des tout grands penseurs de notre époque. Professeur émérite à la Sorbonne, il s’est inscrit dans un héritage somptueux (allant pour faire vite de Gaston Bachelard à Gilbert Durand, le défricheur lumineux des « structures anthropologiques de l’imaginaire », en passant par Jean Duvignaud, Georges Bataille, Julien Freund ou encore Georges Ballandier), produisant un renouvellement audacieux de la pratique socio-anthropologique et nourrissant une féconde descendance intellectuelle.
Dans laquelle j’ai l’heur de m’inscrire modestement puisque mon directeur de mémoire en anthropologie était au double bénéfice d’un doctorat en anthropologie (sous la direction de Gilbert Durand) et d’un doctorat d’État en Sorbonne (sous celle précisément de Michel Maffesoli).
Celui-ci aborde ici un thème qu’il a abondamment défriché, de manière visionnaire, bien avant que qui que ce soit s’en préoccupe sérieusement : celui de la faillite des élites. Nous devons à Maffesoli des concepts essentiels pour comprendre l’effondrement de la modernité dans lequel nous nous trouvons engagés comme ceux de « tribalisme », de « nomadisme », « d’ensauvagement » ou encore « d’infosphère ».
Il me tient à cœur de partager, aussi, sur ce blog des perspectives épistémologiques, essentielles pour appréhender ce qui sur-détermine le désastre en cours. Je m’y suis essayé dans différents articles, accueillant au passage des productions magnifiques comme celles de l’anthropologue Jacques Pollini, du sociologue Laurent Mucchielli, du philosophe Michel Weber, du psychanalyste Michel Rosenzweig, sans oublier celles de différents médecins, chercheurs ou psychiatres.
Je ne développerai pas ici l’immensité des contributions de Bachelard, Durand et Maffesoli au domaine de l’épistémologie, si ce n’est pour en rappeler un socle dont la négation se trouve bel et bien au cœur du naufrage en cours : toute la production de sens de notre espèce est configurée selon certains axes symboliques fondamentaux. Ce que l’on définit aujourd’hui comme « la science » résultant (simplement osera-t-on dire) d’une polarisation particulière du champ des images. Assurément légitime, mais aussi inéluctablement limitée.
C’est un des phénomènes saisissants de notre époque que la généralisation des renversements, indiquant que la crise est en fait bien plus « religieuse » que sanitaire, politique ou même socio-économique. Nous vivons ainsi un état confusionnel collectif – tragique et à haut risque – qui voit les axes cardinaux de l’absolu et du relatif être désorientés : la science, qui est un savoir relatif et circonstanciel, se substitue à la religion comme absolu, alors même que la caste qui s’en réclame la prostitue de toutes les manières possibles et imaginables. Une épidémie naturelle, normale et à vrai dire « banale » au regard de l’histoire devient un cataclysme absolu !
Dans le même temps, l’Absolu lui-même (dont la juste contemplation constitue notre seul véritable garde-fou en ce qu’il nous rappelle implacablement notre condition de créatures inscrites au sein d’une création) se trouve relativisé sous les coups de boutoir psychotiques du délire transhumaniste : les milliardaires de la Silicon Valley aspirent à l’immortalité, et imposent la « correction » et « l’amélioration » du vivant à coups de manipulations génétiques.
Les parlements nationaux (qui n’ont plus de nationaux que le nom, réduit à un simple prétexte) embouchent ces trompettes apocalyptiques : l’interruption de grossesse est désormais possible en France sans raison médicale impérative jusqu’au terme de la grossesse (« horresco referens ») pendant que le tabou éthique posé sur la création de chimères (embryons mi-humains mi-animaux) a été remisé aux oubliettes, ouvrant la porte aux pires monstruosités selon le modèle chinois – qui a déjà produit des êtres humains « clonés »…
Le texte de Michel Maffesoli percute la sensibilité et l’intelligence de plein fouet, la particularité de l’auteur étant de pratiquer une sociologie incarnée, polysémique, qui se différencie de manière assumée d’une sociologie plus « rationnelle » et cérébrale.
Il y aborde un des nœuds centraux de l’affaire qui nous occupe tous à nos corps défendant : celui de la faillite mais aussi de l’ensauvagement des élites. Nos gouvernants se comportent désormais sans le moindre scrupule apparent comme des malfrats, mentant à tout va, niant les évidences, considérant n’avoir plus de compte à rendre à qui que ce soit, imposant des mesures arbitraires et brutales à leur guise, en s’exonérant d’un même mouvement de tout devoir de conformation au réel comme de leur responsabilité envers l’intérêt supérieur des peuples qu’ils sont censés servir.
Dans un récent entretien avec André Bercoff, Michel Maffesoli exprimait sa certitude que cet état de fait ne pourrait que déboucher sur des explosions de violence, chaotiques, incontrôlables et fugaces. Nous en prenons le chemin à grand pas, les contre-pouvoirs devant faire barrage à l’hubris débridé et existentiellement blasphématoire de nos élites étant désormais structurellement aux abonnés absents.
C’est avec une très chaleureuse et révérante gratitude que je remercie Michel Maffesoli de l’autorisation qu’il m’a donnée de partager son texte (publié sur le site du Courrier des stratèges) avec les lectrices et lecteurs de ce blog.
Il met le doigt, avec le génie qui est le sien, exactement là où ça fait mal, soit là où notre lucidité (ou ce qu’il en reste) doit impérativement regarder si nous voulons préserver une chance de sortir tôt ou tard du délire en cours…
par Michel Maffesoli.
Michel Maffesoli nous livre un texte direct et panoramique sur la décadence de notre société que suscitent nos élites. À force d’être obsédées par la morale et par une étiquette de cour, ces élites se sont détournées de flux du vivant et entretiennent une vision artificielle de la société dont le seul destin est de disparaître.
S’accorder au cycle même du monde, voilà ce qui est la profonde sagesse des sociétés équilibrées. Tout comme, d’ailleurs, de tout un chacun. C’est cela même qui fonde le sens de la mesure. Le « bon sens » qui, selon Descartes, est la chose du monde la mieux partagée. Bon sens qui semble perdu de nos jours. Tout simplement parce que l’opinion publiée est totalement déconnectée de l’opinion publique.
Mais pour un temps, sera-t-il long ? cette déconnection est quelque peu masquée. C’est la conséquence d’une structure anthropologique fort ancienne : la stratégie de la peur.
D’antique mémoire, c’est en menaçant des supplices éternels de l’enfer que le pouvoir clérical s’est imposé tout au long du Moyen-Âge. Le protestantisme a, par après, fait reposer « l’esprit du capitalisme » (Max Weber) sur la théologie de la « prédestination ». Vérifier le choix de dieu : être élu ou damné aboutit à consacrer la « valeur travail ». L’économie du salut aboutit ainsi à l’économie stricto sensu !
Dans la décadence en cours des valeurs modernes, dont celle du travail et d’une conception simplement quantitativiste de la vie, c’est en surjouant la peur de la maladie que l’oligarchie médiatico-politique entend se maintenir au pouvoir. La peur de la pandémie aboutissant à une psycho-pandémie d’inquiétante allure.
Comme ceux étant censés gérer l’Enfer ou le Salut, la mise en place d’un « Haut commissariat au Bonheur » n’a, de fait, pour seul but que l’asservissement du peuple. C’est cela la « violence totalitaire » du pouvoir : la protection demande la soumission ; la santé de l’âme ou du corps n’étant dès lors qu’un simple prétexte.
Le spectre eugéniste, l’asepsie de la société, le risque zéro sont des bons moyens pour empêcher de risquer sa vie. C’est-à-dire tout simplement de vivre ! Mais vivre, n’est-ce pas accepter la finitude ? Voilà bien ce que ne veulent pas admettre ceux qui sont atteints par le « virus du bien ». Pour utiliser une judicieuse métaphore de Nietzsche, leur « moraline » est dès lors on ne peut plus dangereuse pour la vie sociale, pour la vie tout court !
Étant entendu, mais cela on le savait de longue date, que la morale est de pure forme. C’est un instrument de domination. Quelques faits divers contemporains, animant le Landernau germanopratin montrent, à loisir que tout comme le disait le vieux Marx, à propos de la bourgeoisie, l’oligarchie « n’a pas de morale, elle se sert de la morale ».
Le moralisme fonctionne toujours selon une logique du « devoir-être », ce que doivent être le monde, la société, l’individu et non selon ce que ces entités sont en réalité, dans leur vie quotidienne. C’est cela même qui fait que dans les « nuées » qui sont les leurs, les élites déphasées ne savent pas, ne veulent pas voir l’aspect archétypal de la finitude humaine. Finitude que les sociétés équilibrées ont su gérer.
C’est cela le « cycle du monde ». Mors et vita ! Le cycle même de la nature : si le grain ne meurt… Qu’est-ce à dire, sinon que la beauté du monde naît, justement, de l’humus ; du fumier sur lequel poussent les plus belles fleurs. Règle universelle faisant de la souffrance et de la mort des gages d’avenir.
En bref, les pensées et les actions de la vie vivante sont celles sachant intégrer la finitude consubstantielle à l’humaine nature. À la nature tout court, mais cela nous oblige à admettre qu’à l’opposé d’une histoire « progressiste » dépassant, dialectiquement, le mal, la dysfonction et pourquoi pas la mort, il faut s’accommoder d’un destin autrement tragique, où l’aléa, l’aventure le risque occupent une place de choix.
Et au-delà du rationalisme progressiste, c’est bien de cette philosophie progressive dont est pétrie la sagesse populaire. Sagesse que la stratégie de la peur du microcosme ne cesse de s’employer à dénier. Et ce en mettant en œuvre ce que Bergson nommait « l’intelligence corrompue », c’est-à-dire purement et simplement rationaliste.
Ainsi le funambulisme du microcosme s’emploie-t-il pour perdurer à créer une masse infinie de zombies. Des morts-vivants, perdant, peu à peu, le goût doux et âcre à la fois de l’existence. Par la mascarade généralisée, le fait de se percevoir comme un fantôme devient réel. Dès lors, c’est le réel qui, à son tour, devient fantomatique.
Monde fantomatique que l’on va s’employer à analyser d’une manière non moins fantomatique. Ainsi, à défaut de savoir « déchiffrer » le sens profond d’une époque, la modernité, qui s’achève, et à défaut de comprendre la postmodernité en gestation, l’on compose des discours on ne peut plus frivoles. Frivolités farcies de chiffres anodins et abstraits.
Il est, à cet égard, frappant de voir fleurir une quantophrénie ayant l’indubitabilité de la Vérité ! Carl Schmidt ou Karl Löwith ont, chacun à leur manière, rappelé que les concepts dont se servent les analyses politiques ne sont que des concepts théologiques sécularisés.
La dogmatique théologique propre à la gestion de l’Enfer ou la dogmatique progressiste théorisant la « valeur travail » s’inversent en « scientisme » prétendant dire ce qu’est la vérité d’une crise civilisationnelle réduite en crise sanitaire. « Scientisme » car le culte de la science est omniprésent dans les divers discours propres à la bien-pensance.
Il est frappant d’observer que les mots ou expressions, science, scientifique, comité scientifique, faire confiance à la Science et autres de la même eau sont comme autant de sésames ouvrant au savoir universel. La Science est la formule magique par laquelle les pouvoirs bureaucratiques et médiatiques sont garants de l’organisation positive de l’ordre social. Il n’est jusqu’aux réseaux sociaux, Facebook, Tweeter, Lindkedin, qui censurent les internautes qui « ne respectent pas les règles scientifiques », c’est-à-dire qui ont une interprétation différente de la réalité. Doute et originalité qui sont les racines de tout « progrès » scientifique !
Oubliant, comme l’avait bien montré Gaston Bachelard que les paradoxes d’aujourd’hui deviennent les paradigmes de demain, ce qui est le propre d’une science authentique alliant l’intuition et l’argumentation, le sensible et la raison, le microcosme se contente d’un « décor » scientiste propre à l’affairement désordonné qui est le sien.
Politiques, journalistes, experts pérorant jusqu’à plus soif sont en effet, à leur « affaire » : instruire et diriger le peuple, fût-ce contre le peuple lui-même. Tant il est vrai que les démocrates auto-proclamés sont très peu démophiles. Au nom de ce qu’ils nomment la Science, ils vont taxer de populistes, rassuristes voire de complotistes tous ceux qui n’adhèrent pas à leurs lieux communs.
On peut d’ailleurs leur retourner le compliment. Il suffit d’entendre, pour ceux qui en ont encore le courage, leur lancinante logorrhée, pour se demander si ce ne sont pas eux, les chasseurs de fake news, qui sont les protagonistes essentiels d’une authentique « complosphère »1. Très précisément parce qu’ils se contentent de mettre le monde en spectacle.
Pour reprendre le mot de Platon, décrivant la dégénérescence de la démocratie, la « Théâtrocratie » est leur lot commun. Politique spectacle des divers politiciens, simulacre intellectuel des experts de pacotille et innombrables banalités des journalistes servant la soupe aux premiers, tels sont les éléments majeurs constituant le tintamarre propre à ce que l’on peut nommer la médiocrité de la médiacratie.
J’ai qualifié ce tintamarre « d’infosphère ». Nouvelle inquisition, celle d’une élite déphasée regardant « de travers » tout à la fois le peuple malséant et tous ceux n’adhérant pas au catéchisme de la bienpensance. « Regarder de travers », c’est considérer ceux et ce que l’on regarde en coin comme étant particulièrement dangereux. Et, en effet, le peuple est dangereux. Ils ne sont pas moins dangereux tous ceux n’arrivant pas à prendre au sérieux la farce sanitaire mise en scène par les théâtrocrates au pouvoir.
Il faudrait la plume d’un Molière pour décrire, avec finesse, leurs arrogantes tartufferies. Leur pharisianisme visant à conforter la peur, peut aller jusqu’à susciter la délation, la dénonciation de ceux ne respectant pas la mise à distance de l’autre, ou de ceux refusant de participer au bal masqué dominant. Leur jésuitisme peut également favoriser la conspiration du silence vis-à-vis du mécréant (celui qui met en doute La Science). Et parfois même aller jusqu’à leur éviction pure et simple des réseaux sociaux.
Dans tous ces cas, il s’agit bien de la reviviscence inquisitoriale. La mise à l’Index : Index librorum prohibitorum. Délation et interdiction selon l’habituelle manière de l’inquisition : au moyen de procédures secrètes. L’entre-soi est l’élément déterminant de la tartufferie médiatico-politique. L’omerta mafieuse : loi du silence, faux témoignages, informations tronquées, demi-vérités, sournoiseries etc. Voilà bien le modus operandi de la fourberie en cours. Et tout un chacun peut compléter la liste de ces parades théâtrales.
Voilà les caractéristiques essentielles de « l’infosphère », véritable complosphère dominante. Mafia, selon la définition que j’ai proposée des élites, rassemblant « ceux qui ont le pouvoir de dire et de faire ». Puis-je ici rappeler, à nouveau, une rude expression de Joseph de Maistre pour décrire ceux qui sont abstraits de la vie réelle : « la canaille mondaine ».
Peut-être faudrait-il même dire « demi-mondaine ». Ce qui désigne, selon Alexandre Dumas, une « cocotte » richement entretenue et se manifestant bruyamment dans la sphère médiatique, le théâtre et la vie publique ou politique. Demi-monde on ne peut plus nébuleux dont les principales actions sont de déformer la réalité afin de la faire rentrer en congruence avec leur propre discours. Demi-mondaines entretenues par l’État ou les puissances financières de la démocratie afin de faire perdurer un état de choses désuet et rétrograde.
Mais cette déformation de la réalité a, peu à peu, contaminé l’espace public.
C’est cela le cœur battant du complotisme de « l’infosphère » : entretenir « mondainement » la peur de l’enfer contemporain. Anxiété, restriction des libertés acceptée, couardise, angoisse diffuse et tout à l’avenant au nom du « tout sanitaire ». Forme contemporaine du « tout à l’égout » !
Sans nier la réalité et l’importance du virus stricto sensu, sans négliger le fait qu’il ait pu provoquer un nombre non négligeable de décès, ce qui n’est pas de ma compétence, il faut noter que le « virus » s’est introduit de manière essentielle dans nos têtes. Ce qui devrait nous conduire à parler d’une « psycho-pandémie » suscitée et entretenue par l’oligarchie médiatico-politique.
Psycho-pandémie comme étant la conséquence logique de ce que Heidegger nomme la « pensée calculante » qui, obnubilée par le chiffre et le quantitatif et fascinée par une logique abstraite du « devoir être », oublie la longue rumination de la « pensée méditante » qui, elle, sait s’accorder, tant bien que mal à la nécessité de la finitude.
Voilà ce qui, pour l’immédiat suscite une sorte d’auto-anéantissement ou d’auto-aliénation conduisant à ce que ce bel esprit qu’était La Boétie nommait la « servitude volontaire ». Ce qui est, sur la longue durée des histoires humaines, un phénomène récurrent. Cause et effet de la stratégie de la peur qui est l’instrument privilégié de tout pouvoir, quel qu’il soit.
Stratégie de la peur qui, au-delà ou en-deçà de l’idéal communautaire sur lequel se fonde tout être ensemble, aboutit, immanquablement à une grégaire solitude aux conséquences on ne peut plus dramatique : violence perverse, décadence des valeurs culturelles, perte du sens commun et diverses dépressions collectives et individuelles. L’actualité n’est pas avare d’exemples illustrant une telle auto-aliénation !
Il est deux expressions qui devraient nourrir la pensée méditante, ce que Durkheim nomme le « conformisme logique », ou ce que Gabriel Tarde analyse dans « les lois de l’imitation ». Des insanités déversées d’une manière lancinante, dans la presse écrite, radiophonique ou télévisuelle par l’oligarchie, au spectacle du bal masqué que nous offre la réalité quotidienne, on voit comment la stratégie de la peur induite par l’inquisition contemporaine aboutit à un état d’esprit tout à fait délétère, et on ne peut plus dangereux pour toute vie sociale équilibrée.
Cette grégaire solitude est particulièrement angoissante pour les jeunes générations auxquelles est déniée tout apprentissage vital. Et c’est pour protéger des générations en fin de vie que l’on sacrifie une jeunesse qui est, ne l’oublions pas, la garante de la société à venir.
De diverses manières de bons esprits ont rappelé qu’une société prête à sacrifier la liberté, la joie de vivre, l’élan vital en échange de sécurité et de tranquillité ne mérite ni les uns, ni les autres. Et, in fine, elle perd le tout. N’est-ce point cela qui menace, actuellement, la vie sociale en son ensemble ?
Mais une fois le diagnostic fait, il est nécessaire de formuler un pronostic pertinent. Ainsi, en accord avec le réalisme que l’on doit à Aristote ou à Saint Thomas d’Aquin, il faut savoir mettre en œuvre un chemin de pensée alliant les sens et l’esprit. Ce que j’ai nommé la « raison sensible ».
Voilà qui peut mettre à bas les châteaux de cartes du rationalisme étroit dans lequel les concepts abstraits servent de pseudo-arguments. Le bon sens et la droite raison réunis peuvent permettre de mettre un terme au brouhaha des mots creux. C’est bien d’ailleurs ce qui est en train de se passer sur les réseaux sociaux dans lesquels grâce aux tweets, forums de discussion, échanges sur Facebook, sites et blogs de résistance divers et presse en ligne est en train de s’élaborer une manière de penser et d’agir différente. Il faut être attentif à la société officieuse en gestation, totalement étrangère à la société officielle propre à l’oligarchie médiatico-politique.
Il est une heureuse expression que l’on doit à l’universitaire et homme politique Pierre-Paul Royer-Collard (1763 – 1845) qu’il est utile de rappeler de nos jours. C’est ainsi qu’il oppose « le pays légal au pays réel ». Par après cette opposition a été reprise, diversement, par Auguste Comte ou Charles Maurras. Mais elle a l’heur de nous rappeler que parfois, il existe un divorce flagrant qui oppose la puissance populaire, puissance instituante, au pouvoir officiel et institué. C’est ce qui permet de saisir la lumière intérieure du bon sens populaire. C’est ce qui permet de comprendre qu’au-delà de la décomposition d’une société peut exister une renaissance. C’est cette métamorphose qui est en cours. Et au-delà de la soumission induite par la protection, c’est dans le « pays réel » que se préparent les soulèvements fondateurs d’une autre manière d’être ensemble.
Ainsi de la révolte des « Gilets jaunes » à la résistance, multiforme, à la mascarade, à la distanciation, voire aux vaccins, c’est une métamorphose sociétale qui se prépare. Le « monde d’après » est déjà là. Métamorphose qui bien évidemment à ce que Vilfredo Pareto nommait, avec pertinence, la « circulation des élites ».
Une telle circulation est inéluctable. La faillite des élites est, maintenant, chose acquise. La forte abstention aux diverses élections, la désaffection vis-à-vis des organes de presse, émissions de télévision ou radio en portent témoignage. Ce que l’on peut appeler « des bulletins paroissiaux » n’intéresse que des affidés, des petites sectes médiatico-politiques se partageant le pouvoir.
Or le propre des « sectaires » est, en général, d’être totalement aveugles vis-à-vis de ce qui échappe à leur dogmatique. C’est ainsi que tout en considérant cela comme dangereux, ils sont incapables de repérer et de comprendre ces indices hautement significatifs que sont les rassemblements festifs se multipliant un peu partout. Il en est de même des multiples transgressions aux divers « confinements » et autres « couvre-feu » promulgués par l’appareil technico-bureaucratique. Et l’on pourrait multiplier à loisir des exemples en ce sens.
Lorsque dans les années 70, je soulignais que la vraie violence, la « violence totalitaire » était celle d’une « bureaucratie céleste » voulant aseptiser la vie sociale et ce en promulguant la nécessité du risque zéro, je rappelais qu’à côté d’une soumission apparente existaient une multiplicité de pratiques rusées. Expression d’une duplicité structurelle : être tout à la fois double et duple.
Il s’agit là d’un quant à soi populaire assurant, sur la longue durée, la survie de l’espèce et le maintien de tout être ensemble. C’est bien un tel « quant à soi » auquel l’on rend attentif tout au long de ces pages. Il témoigne d’une insurrection larvée dont la tradition donne de nombreux exemples et qui ponctue régulièrement l’histoire humaine.
Duplicité anthropologique de ce bon sens dont Descartes a bien montré l’importance. Duplicité qui à l’image de ce qu’il disait : « larvatus prodeo », l’on s’avance masqué dans le théâtre du monde. Mais il s’agit là d’un masque provisoire qui sera, plus ou moins brutalement, ôté lorsque le temps s’y prêtera. Et ce en fonction du vitalisme populaire qui sait, de savoir incorporé, quand il convient de se soulever. Et ce avant que le bal masqué ne s’achève en danse macabre !
source : https://lecourrierdesstrateges.fr