Par Jonathan Cook, le 24 mars 2020
Source : https://www.jonathan-cook.net/blog/2020-03-24/coronavirus-terrified-us/
Traduction : lecridespeuples.fr
On pourrait presque sentir la sueur chargée de peur qui suinte des pores des présentateurs des émissions de télévision et des publications de nos maîtres sur les réseaux sociaux, alors que nos élites politiques et médiatiques commencent à comprendre ce que signifie et implique réellement le coronavirus. Et je ne parle pas de la menace qui pèse sur notre santé.
Une vision du monde qui a évincé toutes les autres idées depuis près de deux générations s’effondre. Elle n’a pas de réponses à notre terrible situation actuelle. Il y a une sorte de karma tragique dans le fait que tant de grands pays —c’est-à-dire des économies majeures— sont aujourd’hui dirigés par les hommes les moins équipés idéologiquement, émotionnellement et spirituellement pour faire face au virus.
Cela est clairement exposé partout en Occident, mais le Royaume-Uni est une étude de cas particulièrement révélatrice [la France macronienne peut également concourir pour la palme d’or].
Traîner les talons
Il est apparu ce week-end que Dominic Cummings, la puissance idéologique derrière le Premier ministre britannique bouffon Boris Johnson, a joué un rôle clé dans le retard de la réponse du gouvernement britannique au coronavirus, conduisant effectivement la Grande-Bretagne sur la (mauvaise) voie de contagion italienne plutôt que sur celle du (bon) exemple sud-coréen.
Selon des rapports des médias ce week-end, Cummings a initialement bloqué l’action du gouvernement, arguant au sujet du fléau à venir que « si cela signifie que certains retraités vont mourir, tant pis ». Cette approche explique le traînage des talons que nous avons vu pendant de nombreux jours, puis des jours de va-et-vient hésitant qui ne sont parvenus qu’aujourd’hui à une décision (confiner le pays pendant 3 semaines).
C’était il y a deux semaines. Des milliers de personnes étaient déjà mortes de par le monde, l’OMS suppliait les gouvernements d’imposer la distanciation sociale et de tester massivement la population. Cette négligence affreuse du gouvernement Johnson [dans la vidéo, il se fait l’avocat de l’attentisme via la théorie de l’immunité de groupe] ne doit jamais être oubliée ni pardonnée.
Cummings, bien sûr, nie avoir jamais fait cette déclaration, qualifiant l’allégation de « diffamatoire ». Mais passons outre les formalités. Est-ce que quelqu’un croit vraiment —vraiment— que ce n’était pas la première pensée de Cummings et de la moitié du cabinet [et de tout le gang de tocards autour de Macron] lorsqu’ils ont été confrontés à une contagion imminente qui, ils le comprenaient, était sur le point de réduire en miettes une théorie sociale et économique qu’ils ont consacrée toute leur carrière politique à transformer en culte de masse ? Une théorie économique dont —par une heureuse coïncidence— ils tirent leur pouvoir politique et leur privilège de classe ?
Et bien sûr, ces monétaristes inconditionnels deviennent déjà tranquillement des prétendus socialistes pour traverser les toutes premières semaines de la crise. Et il reste de nombreux mois à courir.
L’austérité rejetée
Comme je l’avais prédit dans mon dernier article, la semaine dernière, le gouvernement britannique a jeté aux oubliettes les politiques d’austérité qui sont la référence de l’orthodoxie du Parti conservateur depuis plus d’une décennie, et a annoncé une vague de dépenses pour sauver les entreprises sans activité ainsi que les membres du public qui ne sont plus en mesure de gagner leur vie.
Depuis le krach financier de 2008, les conservateurs ont rongé les dépenses sociales jusqu’à l’os, créant une sous-classe massive en Grande-Bretagne, et ont laissé les autorités locales sans le sou et incapables de couvrir le manque à gagner. Au cours de la dernière décennie, le gouvernement conservateur a justifié son approche brutaliste avec le mantra qu’il n’y avait pas d’ « arbre à argent magique » pour aider durant les périodes de difficultés.
Le marché libre, selon eux, était la seule voie fiscalement responsable. Et dans sa sagesse infinie, le marché avait décidé que les 1% —les millionnaires et les milliardaires qui avaient anéanti l’économie lors du krach de 2008— deviendraient encore plus indécemment riches qu’ils l’étaient déjà.
Pendant ce temps, le reste d’entre nous verrait le siphonnage de nos salaires et de nos perspectives, afin que les 1% puissent amasser encore plus de richesses et la transférer sur des paradis fiscaux insulaires, pour que nous et le gouvernement ne puissions jamais mettre la main dessus.
Le « néolibéralisme » est devenu un terme mystificateur utilisé pour ré-imaginer l’insoutenable capitalisme tardif d’entreprise non seulement comme un système rationnel et juste, mais comme le seul système qui n’implique pas de goulags ou de files d’attente pour obtenir du pain.
Non seulement les politiciens britanniques (y compris la majeure partie du parti parlementaire travailliste) y souscrivaient, mais aussi l’ensemble des médias dominants, même si le Guardian « libéral » [équivalent du Monde en importance, en atlantisme et en hypocrisie], très occasionnellement et très inefficacement, se faisait des contorsions pour se demander s’il était temps de faire en sorte que ce capitalisme-turbo devienne un peu plus attentionné et humain.
Seuls les dangereux et délirants « sectateurs » pro-Corbyn pensaient différemment.
Conte de fées égoïste
Mais soudain, semble-t-il, les conservateurs ont trouvé cet arbre à argent magique, après tout. Il était là durant tout ce temps, ployant apparemment sous le poids des fruits juteux à portée de main que nous nous voyons pour la première fois autorisés à cueillir.
Il n’est pas nécessaire d’être un génie comme Dominic Cummings pour voir à quel point ce moment est politiquement terrifiant pour le système. L’histoire qu’ils nous racontent depuis 40 ans ou plus sur les dures réalités économiques est sur le point d’être révélée comme un conte de fées égoïste. On nous a menti, et nous allons bientôt le comprendre très clairement.
C’est pourquoi cette semaine, le politicien conservateur Zac Goldsmith, le fils d’un milliardaire récemment élevé à la Chambre des Lords, a décrit comme un « con » toute personne ayant eu la témérité de devenir un « critique de canapé » de Boris Johnson. Et c’est pourquoi la célèbre « journaliste politique » Isabel Oakeshott, anciennement du Sunday Times et habituée du programme de la BBC Question Time, s’est exprimée sur Twitter pour applaudir Mike Hancock et Johnson pour leur dévouement et leur esprit de sacrifice au service public dans la lutte contre le virus.
Isabel Oakeshott : Gardez une pensée ce matin pour le secrétaire à la santé @MattHancock qui a une énorme responsabilité en ce moment et travaille des heures folles pour aider la nation à battre ce virus. Les jugements que lui et @BorisJohnson doivent faire à chaque heure sont tellement difficiles.
Jonathan Cook : Gardez une pensée aujourd’hui pour les journalistes dominants grassement rémunérés comme celle-ci, qui sont maintenant obligés de faire des heures supplémentaires pour trouver des moyens créatifs de donner une belle apparence au gouvernement, et de couvrir leur incapacité à demander des comptes aux conservateurs durant des années de rigueur qui ont ravagé les services de santé.
Soyez prêts. Au cours des prochaines semaines, de plus en plus de journalistes vont ressembler au corps de presse de la Corée du Nord, avec des odes lyriques à notre « cher dirigeant » et des exigences que nous ayons confiance dans le fait qu’il sait le mieux ce qui doit être mis en œuvre à notre heure de besoin.
Sauvé par les renflouements
Le désespoir actuel de la classe politique et médiatique a une cause substantielle, qui devrait nous inquiéter autant que le virus lui-même.
Il y a douze ans, le capitalisme vacillait au bord de l’abîme, ses défauts structurels étant révélés pour quiconque se donnait la peine de regarder. Le krach de 2008 a failli briser le système financier mondial. Il a été sauvé par nous, le public. Le gouvernement a puisé profondément dans nos poches et a transféré notre argent aux banques. Ou plutôt aux banquiers.
Nous avons sauvé les banquiers —et les politiciens— de leur incompétence économique grâce à des renflouements qui ont été une fois de plus mystifiés en étant appelés « assouplissement quantitatif ».
Mais ce n’est pas nous qui avons été récompensés. Nous ne possédions pas les banques ni n’en détenions une participation significative. Nous n’avons même pas obtenu de droit de regard en échange de notre énorme investissement public. Une fois que nous les avons sauvés, les banquiers ont recommencé à s’enrichir eux-mêmes et leurs amis, de la même manière qui a bloqué l’économie en 2008.
Les renflouements n’ont pas réparé le capitalisme : ils ont simplement retardé pendant un certain temps son effondrement inévitable.
Le capitalisme est toujours structurellement défectueux. Sa dépendance vis-à-vis d’une consommation toujours croissante ne peut pas répondre aux crises environnementales nécessairement liées à une telle consommation. Et les économies artificiellement « développées », en même temps que les ressources s’épuisent, créent finalement des bulles gonflées de néant, des bulles qui vont bientôt éclater à nouveau.
En mode survie
En effet, le virus illustre l’un de ces défauts structurels : c’est un avertissement précoce de l’urgence environnementale plus large, et un rappel que le capitalisme, en associant la cupidité économique à la cupidité environnementale, a assuré l’effondrement des deux sphères en tandem.
Des pandémies comme celle-ci sont le résultat de notre destruction d’habitats naturels —consistant à faire pousser du bétail pour des hamburgers, à planter des palmiers pour des gâteaux et des biscuits, à couper des forêts pour des meubles en kit. Les animaux sont de plus en plus rapprochés des zones d’habitat, si bien que les maladies franchissent la barrière des espèces. Et puis, dans un monde de billets d’avion à bas prix, la maladie trouve un transit facile et rapide à tous les coins de la planète.
La vérité est qu’en période d’effondrement, comme celle qui dure depuis une décennie, le capitalisme n’a plus rien, si ce n’est des « arbres à argent magiques ». Le premier, à la fin des années 2000, était réservé aux banques et aux grandes sociétés, l’élite de la richesse qui dirige maintenant nos gouvernements en tant que ploutocraties.
Le deuxième « arbre à argent magique », nécessaire pour faire face à ce qui deviendra le bilan économique encore plus écrasant du virus, a dû être élargi pour nous inclure. Mais ne vous y trompez pas. Le cercle de la bienfaisance s’est élargi non pas parce que le capitalisme se soucie soudain des travailleurs, des sans-abri et de ceux qui dépendent des banques alimentaires. Le capitalisme est un système économique amoral motivé par le profit pour les propriétaires du capital. Et ce n’est ni vous ni moi.
Article : les sans-abris logés dans des hôtels.
Commentaire : On pouvait donc mettre fin à ce problème si facilement…
Non, le capitalisme est maintenant en mode survie. C’est pourquoi les gouvernements occidentaux tenteront, pendant un certain temps, de « renflouer » également des parties de leur public, en leur redistribuant une partie de la richesse commune qui a été extraite pendant de nombreuses décennies. Ces gouvernements vont essayer de cacher un peu plus longtemps le fait que le capitalisme est totalement incapable de résoudre les crises mêmes qu’il a créées. Ils essaieront d’acheter notre déférence continue envers un système qui a détruit notre planète et l’avenir de nos enfants.
Cela ne fonctionnera pas indéfiniment, comme Dominic Cummings ne le sait que trop bien. C’est pourquoi le gouvernement Johnson, ainsi que l’administration Trump et leurs épigones au Brésil, en Hongrie, en Israël, en Inde et ailleurs, sont en train de rédiger une législation d’urgence draconienne qui aura un objectif à plus long terme que celui immédiat de prévenir la contagion.
Les gouvernements occidentaux concluront qu’il est temps de renforcer le système immunitaire du capitalisme contre leurs propres publics. Le risque est que, si l’occasion se présente, ils commenceront à nous considérer comme le véritable fléau —et à agir en conséquence—, au lieu de réserver ce traitement au virus.
Voir notre dossier sur le coronavirus.
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