par Régis de Castelnau.
Emmanuel Macron répondant aux questions sur les dérives autoritaires de son système avait lancé : « Mais allez en dictature ! Une dictature, c’est un régime où une personne ou un clan décident des lois…. Si la France c’est cela, essayez la dictature et vous verrez ! » L’utilisation annoncée par Édouard Philippe de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 donne à son emportement une saveur particulière.
On passera rapidement, sur les justifications données par les aigrefins qui l’entourent venant contredire au millimètre tout ce qu’ils avaient pu dire dans d’autres circonstances sur cette utilisation alors qu’ils étaient dans l’opposition. Dans ce spectacle de contorsions assez écœurantes, la palme revenant bien sûr au personnage qui tient lieu actuellement de premier ministre, alors dans l’opposition quittant l’hémicycle à l’annonce faite par Manuel Valls devant l’Assemblée nationale de l’utilisation de cette procédure. Macron et sa bande ne font même plus semblant, ils tiennent à démontrer en acte ce que sont duplicités, mensonge et mépris.
On relèvera également le caractère ahurissant de l’argument selon lequel il est nécessaire de gagner du temps, et qu’il y a urgence. Alors même que ce texte, massivement rejeté par le peuple français, considéré par le pourtant très complaisant conseil d’État comme l’équivalent d’un torchon, renvoie de façon illégitime, l’essentiel du contenu à des ordonnances dont on ne sait rien, va bouleverser un système de plus de 70 ans. Qui concerne 70 % de la population française et qui ne trouvera pleine application qu’à partir de 2037…
On a bien compris que toutes ces arguties sont autant de mensonges et de manipulations et que le problème est tout autre. Emmanuel Macron, avec cette violence antidémocratique qui lui est désormais habituelle, prépare une nouvelle forfaiture pour parachever la destruction des institutions inaugurées avec son arrivée illégale au pouvoir.
Comme nous avons eu l’occasion de l’exposer à plusieurs reprises, la catastrophe institutionnelle provoquée par l’adoption du quinquennat voulue par Jacques Chirac combinée avec l’inversion du calendrier décidée par Lionel Jospin a complètement transformé le pouvoir législatif en France. Cette réforme irresponsable a provoqué la transformation de ce qui devrait être un pouvoir séparé en un outil technique donné au président élu pour faire ce qu’il veut. Les élections législatives de juin 2017 ont vu un taux d’abstention colossal de près de 60 % des inscrits. L’Assemblée nationale n’a donc plus aucune représentativité politique, sociologique, sociale économique digne de ce nom. Deux exemples qui démontrent l’inanité du système : les ouvriers et les salariés d’exécution des services soit autour de 40 % de la population active de notre pays ont… zéro représentant à l’Assemblée. Marine Le Pen candidate du Front National à la présidentielle de 2017 a recueilli au deuxième tour près de 11 millions des voix. Son parti dispose de… six députés.
Une Assemblée nationale non représentative dont la majorité est composée de parlementaires recrutés sur CV par Jean-Paul Delevoye tenus d’obéir au doigt et à l’œil aux gardes chiourmes nommés par Macron pour les surveiller. Et les punir si jamais ils renâclent. Et c’est pour cela que l’Assemblée nationale a voté sans barguigner toutes les lois exigées par le président y compris et surtout les plus liberticides.
Ce parlement croupion est indispensable au pouvoir minoritaire de Emmanuel Macron. Non seulement la France ne dispose plus d’un pouvoir législatif digne de ce nom, mais l’organe dévalué qui en tient lieu a été absorbé par le pouvoir exécutif. Le constat est irréfutable de ce qu’exécutif et législatif ne sont plus séparés dans notre pays.
L’article 49 de la Constitution du 4 octobre 1958 organise les modalités du contrôle du gouvernement par l’Assemblée nationale. C’est ce contrôle qui permet de considérer que la loi fondamentale met en place une « république parlementaire ». Comme sous la IIIe et la IVe République, le Parlement dispose de la possibilité de renverser le gouvernement. Mais en 1958, il fallut mettre fin aux errements de la IVe République qui s’apparentait en fait à « un régime d’assemblée » où l’exécutif, à la merci des arrangements de couloirs et des renversements d’alliances au sein du Parlement, fut frappé d’une grande instabilité, et impuissant à régler le drame algérien, amenant la France au bord de la guerre civile. Dans le nouveau texte, les conditions de la mise en œuvre de sa responsabilité ont été organisées de manière à favoriser la stabilité du gouvernement. L’objectif était de la renforcer en plaçant les parlementaires face à leurs engagements politiques de campagne. De plus, pour des raisons historiques, la France est un pays sur-administré où la faiblesse de l’exécutif émanant de l’expression de la souveraineté populaire face à l’administration produisait des déséquilibres que Charles de Gaulle considérait comme néfastes.
Il existe aujourd’hui plusieurs façons de mettre en cause la responsabilité du gouvernement, soit à l’initiative de l’assemblée, soit du gouvernement, prévue celle-là à l’alinéa 3 de l’article 49. Dans ce cas, à l’occasion de la discussion d’un texte de loi, la question posée à l’assemblée est simple : « soit vous me retirez votre confiance et vous me renversez, soit mon projet de texte est adopté ». La procédure est incontestablement brutale, surtout que l’on sait bien que le Président de la république dispose du droit de dissolution de l’Assemblée et que cette décision suit normalement le renversement du gouvernement. C’est-à-dire que les parlementaires qui en ont pris la responsabilité reviendront devant les électeurs pour en répondre. C’est précisément ce qui s’est produit en 1962 lorsque le gouvernement Pompidou fut renversé sur la question de l’élection du président de la république au suffrage universel. De Gaulle prononça la dissolution de l’Assemblée nationale, et les élections ramenèrent une majorité renforcée qui permit la reconduite de Georges Pompidou. Ce dispositif repose donc sur trois principes : efficacité par la stabilité, mise des parlementaires face à leurs responsabilités politiques, et si nécessaire appel au peuple. On voit bien par conséquent quel est l’objectif principal poursuivi par cet alinéa : obliger les parlementaires d’une majorité, indécis ou tourmentés à prendre leurs responsabilités. Soutiens d’un gouvernement, s’ils décident de l’abandonner, ils doivent retourner devant les électeurs pour en répondre.
L’usage de cet article par Emmanuel Macron (ne soyons pas hypocrite, Édouard Philippe n’est qu’un exécutant zélé) n’a rien à voir avec cela.
L’usage de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, l’engagement de la responsabilité du gouvernement n’est absolument pas destiné aux parlementaires du groupe LREM ou Modem qui auraient des états d’âme, seraient hésitants, ou prêts à quitter le rafiot. Ils nous ont prouvé qu’en rangs serrés ils votent et voteront n’importe quoi, ce texte là comme les autres, et la plupart des autres d’ailleurs sans même les lire. L’un d’entre eux s’adressant à l’opposition a même, formidable aveu, proclamé: « la république c’est nous et vous vous n’êtes rien ». Il n’y a absolument aucune chance avec ce parlement croupion précédemment décrit que le projet de loi ne soit pas voté. Dans les termes exacts voulus par Emmanuel Macron et ceux dont il est l’instrument.
Non, l’usage de cette procédure est dirigé CONTRE l’opposition. Contre ces arrogants, ces impudents, qui osent considérer qu’ils ont un mandat du peuple pour débattre des lois qui lui seront appliquées. Et qui veulent le faire sous l’œil de la Nation dans la clarté et la responsabilité. Trois semaines de débats, un seul article discuté, pour un projet fondamental et colossal qui engage tout un pays, pour Macron, ses commanditaires et ses amis, c’est encore trop ! Alors qu’il s’agit en plus d’un texte dont chacun sait qu’en l’état, il est à la fois insuffisant et obscur et permettra ensuite toutes les manipulations, tous les abandons, tous les cadeaux à ceux qui attendent et ont probablement passé commande.
Entourant le Palais Bourbon de ses hommes en armes, Emmanuel Macron qui y dispose pourtant d’une majorité servile à sa botte ne supporte même plus la discussion, et le débat démocratique au sein d’une instance parlementaire républicaine qu’il finit de démanteler.
« Mais allez en dictature ! Une dictature, c’est un régime où une personne ou un clan décident des lois…. Si la France c’est cela, essayez la dictature et vous verrez ! »
Eh bien oui Monsieur Macron, avec vous la France c’est cela. Et nous avons compris que depuis 2017 nous sommes « en période d’essai ». Et qu’il est urgent d’y mettre fin.
Sans préavis.
source : https://www.vududroit.com/2020/03/macron-mettre-fin-a-la-periode-dessai/