Par Matthew Ehret − Le 5 novembre 2019 − Source Strategic Culture
Alors que l’attention du monde est absorbée par les changements tectoniques qui se déroulent dans le Moyen-Orient et que beaucoup d’Américains ont l’impression de penser que les élections de 2020 sont motivées par la nécessité de destituer le président Trump, une chose très sinistre est apparue « hors du radar » de la plupart des observateurs. Ce quelque chose est un effondrement financier des banques occidentales qui menace de déchaîner le chaos sur le monde.
Dans mon dernier rapport, j’avais expliqué pourquoi le système financier actuel était au bord d’une hyperinflation du type de celle de la République de Weimar en 1923, motivée par les renflouements de la Réserve fédérale qui tentaient désespérément de soutenir le désendettement de la bulle de dérivés de 1 200 000 milliards de dollars qui a submergé le système bancaire occidental. J’ai également évoqué la « solution » proposée par la Banque d’Angleterre à cette crise qui implique actuellement une nouvelle devise numérique « verte » globale avec de nouvelles « règles » très similaires à la « solution », apportée par cette même banque en 1923 au chaos économique allemand, qui a finalement nécessité un mécanisme de gouvernance fasciste pour l’imposer aux masses.
Dans cet article, je souhaite examiner de plus près les causes et les effets de l’effondrement totalement inutile de l’Allemagne de Weimar dans l’hyperinflation et le chaos au cours de la période 1919 -1923.
La Grande-Bretagne avait joué un rôle de premier plan dans l’orchestration de la Première Guerre mondiale et dans la destruction de la possible alliance germano-russo-américano-ottomane qui avait commencé à prendre forme à la fin du XIXe siècle, comme le révéla l’insensé Kaiser Wilhelm – bien que trop tardivement : «Le monde sera plongé dans la plus terrible des guerres, dont le but ultime est la ruine de l’Allemagne. L’Angleterre, la France et la Russie ont conspiré pour notre annihilation… c’est la vérité toute nue de la situation créée lentement mais sûrement par Édouard VII».
De même que l’oligarchie britannique a géré la guerre, elle a également organisé la conférence sur les réparations en France, qui imposait, entre autres, le remboursement impossible de la dette à une Allemagne vaincue et la création de la Société des Nations, censée devenir l’instrument d’un – « ordre mondial post national ». Lloyd George a dirigé la délégation britannique aux côtés de son assistant Philip Kerr (Lord Lothian), Leo Amery, Lord Robert Cecil et Lord John Maynard Keynes, qui avaient un programme à long terme pour instaurer une dictature mondiale. Toutes ces personnalités étaient membres du mouvement émergent de la Round Table, qui avait pris le contrôle total de la Grande-Bretagne en renversant Asquith en 1916, et qui est au cœur de «l’état profond» d’aujourd’hui.
Après le démantèlement de l’armée et de la marine allemandes en 1918, la nation autrefois puissante fut désormais contrainte de payer la somme impossible de 132 milliards de marks-or aux vainqueurs et dut céder des territoires représentant 10% de sa population – Alsace-Lorraine, Ruhr et Silésie du Nord – qui représentait 15% de ses terres arables, 12% de son bétail, 74% de son minerai de fer, 63% de sa production de zinc et 26% de son charbon. L’Allemagne a également dû abandonner 8 000 locomotives, 225 000 automotrices et toutes ses colonies. C’était une journée champêtre de pillage moderne.
L’Allemagne n’avait que très peu d’options. Les taxes ont été augmentées et les importations entièrement supprimées, tandis que les exportations ont augmenté. Cette politique – qui rappelle les techniques d’austérité du FMI utilisées aujourd’hui – a complètement échoué. L’Allemagne a cédé la moitié de son stock d’or et le montant de sa dette n’a pratiquement pas été réduit. En juin 1920, il fut décidé de lancer une nouvelle stratégie : accélérer la planche à billets. Plutôt qu’un «remède miracle», dans lequel des monétaristes désespérés mettaient bêtement leurs espoirs, cela devait être une dévaluation asymptotique de la monnaie en hyperinflation. De juin 1920 à octobre 1923, la masse monétaire en circulation a explosé. En juin 1922, 300 marks s’échangeaient pour 1 $ US et en novembre 1923, il fallait 42 000 milliards de marks pour obtenir 1 $ US ! Des images sont encore disponibles d’Allemands poussant des brouettes dans la rue, juste pour acheter un morceau de beurre et du pain – 1 kg de pain vendu pour 428 milliards de marks en 1923.
Avec la dépréciation de la monnaie, la production industrielle a chuté de 50%, le chômage a dépassé les 30% et la consommation alimentaire s’est effondrée de plus de la moitié par rapport au niveau d’avant la guerre. Le film de 1922 du réalisateur allemand Fritz Lang, Dr. Mabuse (Le Joueur) a exposé la folie de l’effondrement de la population allemande dans la spéculation, alors que ceux qui en avaient les moyens ont commencé à parier contre le mark allemand afin de se protéger, contribuant ainsi à l’effondrement du mark de l’intérieur. Cela rappelle beaucoup ces Américains qui vendent aujourd’hui le dollar américain au lieu de se battre pour une solution systémique.
Lorsque l’explosion hyperinflationniste de l’Allemagne a entraîné une impossibilité totale de gouverner l’État, une solution a pris la forme du «Plan Dawes» de Wall Street, qui nécessitait l’utilisation d’un golem formé à Londres et appelé Hjalmar Schacht. Introduit pour la première fois en tant que commissaire chargé de la monnaie en novembre 1923 et bientôt président de la Reichsbank, le premier acte de Schacht fut de rendre visite à Montagu Norman, gouverneur de la Banque d’Angleterre, à Londres, qui lui fournit un plan pour la restructuration de l’Allemagne. Schacht est revenu « résoudre » la crise avec le même poison qui l’avait provoquée.
Annonçant d’abord une nouvelle monnaie appelée «rentenmark», échangeant 1 milliard de marks allemands pour 1 nouveau rentenmark, les Allemands ont été une nouvelle fois dévalisés. Cette nouvelle monnaie fonctionnerait selon de «nouvelles règles» jamais vues dans l’histoire de l’Allemagne : les privatisations massives avaient pour résultat que des conglomérats anglo-américains achetaient des entreprises d’État. IG Farben, Thyssen, Union Banking, Brown Brothers Harriman, Standard Oil, JP Morgan et Union Banking ont pris le contrôle des intérêts financiers, miniers et industriels de l’Allemagne sous la supervision de John Foster Dulles, de Montagu Norman, d’Averill Harriman et d’autres acteurs étatiques majeurs. Ceci a été exposé de manière célèbre dans le film Judgment at Nuremberg de 1961 de Stanley Kramer.
Schacht a ensuite réduit le crédit aux industries, augmenté les impôts et imposé une austérité massive sur les «dépenses inutiles». 390 000 fonctionnaires ont été licenciés, les syndicats et les négociations collectives ont été abolis et les salaires ont été réduits de 15%.
Comme on peut l’imaginer, cette destruction de la vie après l’enfer du traité de Versailles était intolérable et les troubles civils ont commencé à s’aggraver d’une manière que même les puissants banquiers londoniens de Wall Street – et leurs mercenaires – ne pouvaient pas contrôler. Pour forcer le peuple à accepter les réformes économiques de Schacht, il fallait un pouvoir qui ne soit pas soumis au respect des institutions démocratiques. Un peintre paysagiste raté et enthousiaste qui avait fait des vagues dans un Putsch à Munich le 8 novembre 1923 ferait parfaitement l’affaire.
Bien que Hitler ait accru le pouvoir de son parti au cours de la décennie des réformes de l’économie Schacht de 1923 à 1933, un dernier effort républicain fut tenté pour empêcher l’Allemagne de sombrer dans un enfer fasciste avec la victoire électorale du général Kurt von Schleicher en novembre 1932 au poste de chancelier de l’Allemagne. Schleicher avait été co-architecte des entretiens de Rapallo aux côtés de Walther Rathenau dix ans plus tôt et était un ardent défenseur du programme de travaux publics et d’améliorations internes de la Friedrich List Society promue par l’industriel Wilhelm Lautenbach. Le soutien public du parti nazi s’est effondré et il s’est retrouvé en faillite. Hitler était tombé dans la dépression, et envisageait même de se suicider, lorsqu’un « coup d’État » a été déclenché par l’élite anglo-américaine, qui s’est traduit par un déversement de fonds de Wall Street dans les coffres nazis
Le 30 janvier 1933, Hitler obtient le poste de chancelier, où il prit rapidement le pouvoir dictatorial en vertu de «l’état d’urgence» provoqué par l’incendie du Reichstag en mars 1933. En 1934, la Nuit des longs couteaux vit l’assassinat du général Schleicher et de centaines d’autres patriotes allemands, et ce n’est que quelques années avant que le Frankenstein nazi, crée par la City de Londres et Wall Street, ne prenne d’assaut le monde entier.
Le monde d’aujourd’hui se trouve au sommet d’une bulle aux proportions inimaginables qui a commencé à exploser en 2008 et qui n’a été maintenue à flot que par une décennie d’espoir aveugle, soutenu par l’utilisation massive de la planche à billets, les taux zéro, la spéculation et l’austérité. La base économique physique soutenant le système monétaire a été brisée par 40 ans de consumérisme post-industriel qui sévit dans tout l’Ouest. S’il est admis que le dollar américain ne peut rester la monnaie de réserve pour le monde entier comme c’est le cas depuis 1945, les mêmes forces de la banque centrale londonienne ont reconnu que si leurs projets de monnaie numérique verte, dénommée «one-world», n’étaient pas imposés aux nations, alors le yuan chinois et la nouvelle route de la soie façonneront le nouveau système.
Que Londres réussisse ou non, en 2020, à pousser un système de décarbonisation – c’est-à-dire de dépeuplement – fasciste sur le monde, là où leur Monstre de 1923 a échoué, reste à voir.
Matthew Ehret
Traduit par jj, relu par San pour le Saker Francophone