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Du veau d'or au cochon doré à la feuille d'or.

Du veau d'or au cochon doré à la feuille d'or.

Hôtel club, 1987, Sénégal, carnet de voyage, notes...

 

Lever tard, double express au comptoir, à l'heure de l'apéro. C'est la danse des canards, jeux concours pour une tournée gratis, Pastis, amuse-gueules, claquements de voix, comme des pétards, vite, un « tarpé ». Du matin au soir les enceintes déversent leur tapage en un flot ininterrompu. Il est rare qu'elles se taisent. Peur du silence, de se retrouver seul face à soi, loin du bazar civilisationnel à fond les décibels. Piscine, armée de loufiats, cocotiers d'Épinal, cartes postales, chaises longues, parasols à rayures blanches et bleues, crèmes solaires, sodas, animations débiles, le plus souvent, comme une poudre de perlimpinpin, une gousse d'ail, des croix de bois pour éloigner l'ennui, pour éloigner ce mauvais œil qui crève les yeux comme une tomate au milieu de la figure.

Bungalows, climatisation, pelouses - vertes - jets d'eau en continu un peu partout, tel un défi au soleil, du matin jusqu'au soir, juste pour le gazon. À quelques pas de là, les villageois soufrent déjà de la mauvaise saison des pluies. Les nuages étaient présents cette année, mais l'eau ne tombait pas. Les greniers à mil sont déjà presque vides.

 

- Tiendrons-nous jusqu'aux prochaines récoltes ?, (se demandent-ils) aux portes des paradis du gaspi.

 

Hôtel tout confort, en autarcie, boutiques, restaurants, boîtes de nuit, bars, visites encadrées, prix de gros, monnaie basse, Franc fort, protection, régime à part, en demie pension ou en pension complète. Non loin, tout un peuple au régime mitard, laissé à part, pendant qu'on bouffe sa part. Cauchemar pour les noirs dans le coltard, hagards, au rencard, abandonnés dans les fossés du progrès-absolument et après moi l'déluge - de sable.

 

La violence n'est plus bien loin. D'un voyage à l'autre P'tit Bonnet la sent plus présente. Elle est là, à fleur, rampante, répartie tout au long des parcours touristiques où l'on sème l'argent presque exclusivement chez les blancs, les libanais, et quelques complices du cru. Si certaines boutiques partagent les bénéfices avec les guides lorsqu'ils amènent des groupes, pour le reste, la moindre source d'argent est confisquée aux populations. Artisanat, balades en carriole ou en pirogue, restauration... Tout se passe à l'intérieur des enceintes qui n'enfantent que la vexation. Misère, misère noire, flagrante, comme des tâches de lèpre sur le visage de l'occident. Même si le soleil arrondit les angles, elle est là, obscène, tout autour, sous les roues des Mercédès, des 4X4, aux pieds des résidences. Reste le système démerde qui s'enfonce dans les sables, minant jour après jour ce qu'il reste de l'économie nationale.

 

En un seul repas, une tablée de touristes peut s'empiffrer, sous le regard affamé des jeunes des abords, pour plus de quatre-vingt mille francs CFA de boustifaille et de picole, l'équivalent de deux salaires mensuels au Sénégal - quand il y a du travail papa ! Dès lors, comment ne pas comprendre la tentation qu'il y a à vouloir faucher ce qui dépasse. N'est-ce pas là un devoir millénaire ? Primordiale. Survivre... D'autant que l'argent dépensé dans les circuits hôteliers retourne directement en France, ou dans les paradis fiscaux. Pas grand-chose pour les masses avoisinantes à qui sont confisqués peu à peu les meilleurs terrains. À la place, goudron nickel chrome jusqu'à la nationale, tout autour des hôtels, seulement ; forêt de panneaux, gardiens armés de gourdins, en treillis et en rangers, issus évidemment d'ethnies en dissidence, qui réclament leur indépendance.

 

Avec le temps, une prise de conscience se fait jour. Générations après générations, les gens du rebord scrutent, observent, écoutent, apprennent, se vaccinent, et démystifient aussi. À force de le voir vivre dans ses aquariums, le dieu blanc perd de sa brillance. C'est ainsi que peu à peu les jeunes des abords s'éveillent d'un long sommeil dans lequel leur « race » fut plongée au moyen de la saignée. La supercherie s'éclaire de mieux en mieux aux yeux de la jeunesse du rebord. L'énergie s'accumule aussi. Il en résulte ce bouillonnement intense, sourd pour le moment, mais qui monte, doucement, qui monte, lentement, mais qui monte de toute façon - sénégalaisement. Quand on n’a plus rien à attendre, lorsqu'on va jusqu'à te confisquer ton horizon, tes yeux se lèvent alors vers les cieux pour invoquer la colère de Dieu, pour le prier d'être choisi parmi les instruments de sa vengeance.

 

- Allah est grand ! Justice pour nos enfants.

Tous consommateurs ! Brulez vos marques, démarquez vous, nous ne sommes pas des hommes sandwich.

Tous consommateurs ! Brulez vos marques, démarquez vous, nous ne sommes pas des hommes sandwich.

Plan d'évacuation, plan d'intervention, plan serré à la télévision...

 

Même si ta révolte t'emporte avec le reste, tu t'en fous royalement, car il arrive que la mort paraisse plus douce que la vie en personne, et ce sentiment se répand de plus en plus largement. Et dire qu'il suffit d'un rien pour rompre le cercle infernal, de quelques colas, d'un cornet de thé, un autre de sucre, d'une poignée d'arachides et de quelques bombons à distribuer aux enfants pour que tout change, pour lier connaissance, en dehors des tracés opérateurs. Il faut seulement vouloir vraiment rencontrer les gens, sans idée pré-cousue de fils blancs. Alors c'est certain, les africains sont différents, ils ne vivent pas comme les français, ni les français comme les chinois ou les américains. En allant ailleurs il faut s'attendre à rencontrer la différence. Si non, autant rester en France, dans l'Ardèche, les gorges du Verdon, la Bretagne, la Côte d'Azur... quoi que là encore...

 

Le soir, à l'heure de l'apéro, animation, conso', micro : la bouffe est avancée - nuée. Buffet à volonté, picrate en sus pour te sucer le porte-monnaie, bousculade au dessert, serviteurs pour débarrasser, poubelles qui dégueulent de nourriture. À quinze bornes à peine, accroupis autour d'une bassine émaillée, des dizaines de petits doigts chassent les derniers grains de riz de l'unique repas de la journée. Pour tout éclairage dans la cour, une lampe-tempête dont la fumée noire empeste le pétrole cramé. Cafés, pousse-café, spectacle aseptisé, au top applaudissez !!! Vingt-deux heures trente, extinction des feux comme en taule, nigth-club pour les retardataires. Apocalypse show, la disco plein pot échauffe le polo en sueur. Un verre, deux verres...

 

- Allez maman, va te coucher.

 

Bobonne est rompue, déglinguée, cassée, ruinée, exténuée. Après le zing d'hier, le transfert, le soleil toute la journée, le grand air, les noirs qui la frôlent, la boîte qui sue, qui pue des pieds - elle n'en peut plus.

 

- Va te coucher j'te dis. Le temps d'un dernier verre et je te rejoins. Vas-y, c'est bien éclairé, tu ne crains rien, en plus y'a des gardiens dans tous les coins.

 

À peine a-t-elle franchi la sortie de la boite de nuit que le type est rejoint par la gazelle qu'il a repéré depuis le début de la soirée. Un animateur de l'hôtel club, payé aussi pour entraîner à picoler, éclaire P'tit Bonnet sur ce qui se trame dans ce tramway nommé ‘voyage organisé’.

 

- Lorsqu'une fournée de pèlerins descend du car, dès le premier coup d'œil on sait ce que chacun est venu chercher ici. Fêtes à gogos, repos, sport, soleil, exotisme, sexe. Certains couples se séparent à peine débarqués. L'homme et la femme chassent chacun de leur côté. Ils ne se retrouvent qu'à la fin du séjour pour remonter dans le car, bras dessus, bras dessous. D'autres chassent à deux. Il y a aussi ses femmes ‘sandwich’ qui viennent seule chaque année, à date fixe. Elles ramassent un, deux, voire même trois jeunes d'à côté pour se faire enfiler par tous les bouts en simultané. Certains hommes, mariés ou non, tournent à voile et à vapeur. Ils font feu de tous sexes sans discontinuer. Il y a de tout ici. Hétéros, homos, pédalos, saligauds... sans oublier les pédophiles qui traînent la nuit sur la plage. Il y aurait de quoi écrire un livre, rien qu'à les observer.

 

- Allez,  j’me tire d'ici.

 

Vite, un coin tranquille, paisible, désert en cette heure tardive, non loin de la piscine illuminée. Le type de tout à l'heure ne tarde pas à sortir lui aussi de la discothèque, accompagné de la petite négresse avec laquelle il s'engouffre dans les toilettes, en regardant tout autour de lui. Bobonne s'endort, le type éjacule dans l'odeur d'urine et de désinfectant - que demande le peuple, le middle peuple ?!! Ils ressortent, en nage, il hésite, la fille s'en retourne vers la boite de nuit pour se rincer le gosier au Gin Feese, alors qu'il se décide à rejoindre sa chambre sur la pointe des pieds.

 

- À demain soir comme promis, même heure, avec ta copine (lui lance-t-il sans se retourner).

 

Et de fourailler sa rombière en rentrant par derrière, de peur qu'elle ne détecte dans ses yeux baveux un indice qui la mettrait sur la piste. Une bonne partie de la nuit, c'est ainsi que des filles en combine avec les hôtels clubs traînent les discothèques, en se grattant discrètement le zizi. Ça fait peur. Le toléré organisé, le permissif, avec ou sans préservatif désintègre des populations entières, aussi sûrement que nos guerres-éclairs ou télécommandées. Lorsque les derniers danseurs ont quitté le Night-Club et que l'hôtel s'endort tout à fait, il ne reste plus que quelques gazelles qui traînent dans les recoins en attendant le matin pour rentrer chez elles, un peu loin, en brousse.

 

- Ma famille croit que je travaille ici. Ils ne savent pas que je fais ça. Nous sommes tellement pauvres. Tu comprends ? On n’a pas tellement le choix.

 

P’tit Bonnet qui travail du chapeau lui tend quelques billets pour un taxi et les repas de demain. Crise de rire avec elle à en tomber dans la piscine chlorée, tête la première, tout habillé. Il fait presque jour lorsque qu’il regagne sa piaule, pensif.

 

- À tout bien considéré, je rejoindrais Guéréo demain matin par la plage.

 

Bernard-Alex Le Moullec 

 

 Brulez vos marques, démarquez vous, on est pas des hommes sandwichs (Festival Zik Zac 2010 @ Aix en Provence - performance sur deux jours)

Brulez vos marques, démarquez vous, on est pas des hommes sandwichs (Festival Zik Zac 2010 @ Aix en Provence - performance sur deux jours)

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