« Prenez invariablement la position la plus élevée, c’est généralement la moins encombrée » (Charles de Gaulle). Aujourd’hui, nous en sommes encore loin. La guerre en Syrie, qui entre bientôt dans sa dixième année, donne lieu à son cortège des morts et de disparus (près de 500 000), de blessés, de déplacés mais aussi à son lot quotidien d’âneries de nos dirigeants incultes. D’Alain Juppé (qui a fermé notre ambassade à Damas) à Jean-Yves Le Drian (qui joue à l’occasion le moralisateur) en passant par Laurent Fabius (qui déclarait en 2012 que les petits gars d’Al Nosra faisaient du bon boulot), nous aurons tout entendu en France. Rien ne nous aura été épargné surtout depuis que le régime syrien a entrepris de reconquérir la dernière poche de résistance d’Idlib ! C’est du n’importe quoi comme le soulignait Richard Labévière, dans notre dernier magazine1. Nous en avons aujourd’hui un nouvel exemple frappant avec la tribune sur la situation à Idlib cosignée par quatorze ministres des Affaires étrangères de pays membres de l’Union européenne dans Le Monde2. Un morceau d’anthologie qui mériterait de figurer dans l’Histoire universelle de la connerie3. Reprenons la quintessence de cette prose ministérielle qui nous permettra de mettre en lumières les quelques perles enfilées par ces quatorze imbéciles ! Nous formulerons quelques remarques générales sur leurs inepties.
DE QUELQUES PERLES ENFILÉES PAR QUATORZE IMBÉCILES
Après avoir enfoncé une porte ouverte (l’existence d’une « nouvelle catastrophe humanitaire »), nos démagogues à la petite semaine osent écrire que « le régime syrien persiste dans une stratégie de reconquête du pays à n’importe quel prix, qu’elles qu’en soient les conséquences pour les civils syriens ». La bonne blague ! Pensent-ils que se pratique encore la guerre en dentelle comme celle que conduit l’Arabie saoudite au Yémen ? Un morceau d’anthologie de la bêtise diplomatique. Au passage, on donne un coup de patte aux méchants russes qui donnent un coup de main au bourreau de Damas. Et, oui, dans toute guerre, on a des ennemis mais aussi des alliés fidèles.
Vient ensuite le couplet moralisateur sur le « mépris du droit international humanitaire » ! Interrogez ces brillants sujets sur le périmètre de ce droit ? Il y a fort à parier qu’ils soient ignorants à un point tel qu’ils seraient la risée de tous. Ils admettent ensuite, du bout des lèvres, la « présence de groupes radicaux à Idlib » tout en soulignant que « la lutte contre le terrorisme ne doit pas justifier les violations massives du droit humanitaire ». Ces braves gens étaient plus discrets lorsque tous ces groupes terroristes tuaient, violaient, faisaient régner la terreur sur les populations civiles en Irak et en Syrie. Ils ne parlent pas, non plus et pour cause, de toutes les lois liberticides adoptées dans nos pays (y compris en France) sous prétexte de lutte contre le terrorisme. Balayons devant notre porte avant de donner des leçons à la terre entière !
Et nous passons ensuite à l’injonction adressée à Damas, et à « ses soutiens notamment russes » de mettre un terme à cette offensive et de respecter le cessez-le-feu de l’automne 2018 auquel ils n’ont pris aucune part. Le régime syrien est instamment prié de cesser immédiatement les hostilités, de respecter le droit international humanitaire et la protection des travailleurs humanitaires (qui sont-ils ?). Les Russes sont invités à poursuivre leurs négociations avec les Turcs afin d’aboutir à une désescalade à Idlib et à contribuer à une solution politique. Après l’instauration d’une trêve, ils sont sommés de ne plus empêcher le Conseil de sécurité de mettre en place son mécanisme d’acheminement de l’aide humanitaire. Bigre…
Par ailleurs, surprise, nos Rouletabille en appellent à une solution politique négociée inclusive (qu’ont-ils fait dans le passé pour privilégier la voie coopérative à la voie coercitive ?), en particulier celle de l’envoyé spécial de l’ONU, Geir Pedersen à Genève (processus constitutionnel). Ils évoquent ensuite une « reconquête en trompe-l’œil » et « les mêmes causes qui produiront les mêmes effets : la radicalisation, l’instabilité en Syrie et dans la région, l’exil, dans un pays dont plus de la moitié de la population est déplacée ou réfugiée ». Qu’en savent-ils, eux qui ont un tout faux sur toute la ligne depuis le début des mal nommés « printemps arabes » ? Tout ceci n’a qu’un seul objectif, faire pleurer dans les chaumières les âmes sensibles. Certainement pas de préparer la paix après avoir perdu la guerre.
Notre bande d’incompétents souligne ensuite les « efforts considérables déployés par les voisins de la Syrie pour offrir un refuge aux personnes déplacées ». Elle tresse des couronnes de lauriers à l’Union européenne, première donatrice d’aide aux populations syriennes. La fameuse diplomatie du carnet de chèques de Bruxelles. Cela ne peut pas faire de mal. Mais, l’Europe fait mieux pour régler le conflit syrien : pressions pour conduire le régime de Damas à la table de négociation, imposition de sanctions contre les hommes d’affaires syriens. Tous les diplomates un tant soit peu expérimentés connaissent les limites intrinsèques des politiques de sanction qui aboutissent souvent à l’inverse de l’effet recherché. Mais la fine fleur de la diplomatie européenne semble l’ignorer.
Et ces quatorze pleutres concluent sur leur morceau de bravoure favori. Il n’y aura pas d’impunité pour tous ces criminels de guerre (on ne parle pas des Saoudiens et de leurs crimes contre l’humanité au Yémen, ce ne serait pas politiquement correct) qui goûteront le moment venu de la Cour pénale internationale sise dans cette bonne ville de La Haye. Ils verront alors ce qu’il en coûte de commettre des crimes de guerre ou d’utiliser des armes chimiques sans parler des multiples violations du droit humanitaire. Qu’on se le dise, tout ceci est très sérieux ! Les Européens ne badinent jamais avec leurs (fausses) valeurs. Ces pouilleux, ces gueux de Syriens n’ont qu’à bien se tenir. L’heure du jugement dernier approche à grands pas. Ils auront à répondre devant la justice des hommes de leurs crimes odieux. Juré, craché. Ils n’ont qu’à voir ce qu’il est arrivé à Laurent Gbagbo à la CPI. Une vraie mascarade judiciaire. Pense-ton sérieusement que c’est avec de genre de raisonnement que l’on va conduire Syriens et Russes à prendre en compte les fausses menaces de ce quarteron de ministres en état d’apesanteur diplomatique ? Tout ceci n’est pas très sérieux… Parfois, la paix est la sécurité se réalisent au prix du pardon et de non de la punition, de la vengeance aveugle.
Le madrigal est particulièrement troussé. Un travail de professionnel pour perroquets à carte de presse qui gobent tout ce qu’on leur assène sans prendre le temps de réfléchir, de comprendre en allant sur le terrain, en instruisant à charge et à décharge pour faire émerger la vérité. Ils tombent toujours à pieds joints dans le panneau tellement leur inculture internationale doublée de leur servitude volontaire est immense. On a les médias que l’on mérite.
La réalité est bien différente de ce que nous racontent ces incompétents, ces présomptueux à qui la vie se chargera d’administrer des leçons, le moment venu. Une fois de plus, l’échec de tous ces imbéciles est cuisant, expliquant en grande partie le déclin de l’Occident.
DE QUELQUES REMARQUES GÉNÉRALES SUR LEURS INEPTIES
La première remarque porte sur les signataires de cette tribune. Ils ne sont que quatorze ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Union européenne. Cela signifie que les treize autres, vraisemblablement plus avisés que leurs collègues, n’ont pas voulu s’associer à cette piètre mascarade diplomatique. Sur ce sujet, comme sur tant d’autres, l’Union européenne apparait divisée alors que l’on nous explique qu’elle dispose d’une politique étrangère commune mise en œuvre par un pléthorique Service européen pour l’action extérieure (SEAE). Encore un bidule totalement inutile et qui nous coûte « un pognon de dingue ». Il y aurait là, comme dans bien d’autres secteurs d’(in)activités du moloch bruxellois, de quoi procéder à de sérieuses coupes sombres. En un mot comme en cent, l’Union européenne ne pèse pas lourd sur la scène internationale. Un ludion qui s’agite pour masquer son impuissance.
La seconde remarque porte sur la responsabilité des États concernés. Les quatorze pays donneurs de leçons devraient procéder à un indispensable examen de conscience. Ils découvriraient qu’ils ont contribué, à un degré ou à un autre, à mettre de l’huile sur le feu durant toutes ces dernières années : livraison d’armes à de pseudo-groupes démocratiques (introuvables !) qui se sont retrouvées dans les mains des multiples groupes terroristes qui opèrent sur le territoire syrien, déstabilisation permanente du régime de Bachar al-Assad pour procéder à un changement de régime comme le promettait Laurent Fabius le visionnaire, refus de participation au processus de négociation de Sotchi initié par la Russie avec la Turquie et l’Iran, intervention de leurs troupes en Syrie sans la moindre autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU… La liste de leurs méfaits est impressionnante. Elle devrait les conduire à faire preuve d’un peu plus d’humilité et de moins d’arrogance dans les jugements de valeur à l’emporte-pièce qu’ils portent sur une situation inextricable.
La troisième remarque porte sur la Turquie. Sur ce sujet, nos matamores excellent dans le registre de la prudence de gazelle. Ils seraient du genre capon. Le mot de Turquie n’est même pas prononcé alors que le régime du nouveau Sultan (pas très à cheval sur la question du respect des droits de l’homme dans son pays et ailleurs) occupe illégalement une partie du territoire syrien. Les quatorze rigolos condamnent-ils cette situation contraire aux règles élémentaires du droit international ? Que nenni ! Rien ne nous est dit de l’appui militaire important accordé par Ankara à toutes sortes de mouvements terroristes (que nous sommes censés combattre) qui agissent à Idlib et ailleurs (les Turcs en ont expédié certains en Libye pour aider à la paix). Rien ne nous est dit de la chasse éhontée faite aux Kurdes par ces mêmes turcs. Kurdes qui ont fourni un effort incomparable dans la lutte contre l’EIIL menée par la coalition ad hoc conduite par les États-Unis et à laquelle la France participait. La raison de cette lâcheté est évidente. Il ne faut pas importuner le sanguinaire Erdogan qui tient les Européens à sa merci. S’il venait à l’esprit des Vingt-Sept de les critiquer, il rouvrirait les vannes pour que les réfugies syriens reprennent le chemin de l’Europe en dépit des milliards déjà versés pour s’assurer de sa « coopération ». Tout ceci n’est pas très glorieux. Il est vrai que la Turquie se moque également de l’OTAN dont elle se sert quand elle en a besoin mais achètent des missiles S-400 à la méchante Russie. Tout ceci manque de cohérence de la part des Européens qui auraient dû imposer des sanctions aux Turcs depuis belle lurette. Mais, ceci relève de la chimère.
La quatrième remarque porte sur le « couple franco-allemand » … ou du moins ce qu’il en reste. Alors qu’il n’a rien fait de concret, de tangible, d’efficace au cours de la décennie écoulée tant en Europe que dans le conflit syrien, il sort de sa léthargie aujourd’hui. L’on nous explique que Paris et Berlin chercheraient une voie diplomatique pour résoudre la crise d’Idlib. La France et l’Allemagne parleraient avec la Russie et la Turquie de l’organisation d’un sommet sur la situation dans le nord-ouest de la Syrie4. Le moins que l’on puisse dire est que cette improbable initiative est très mal partie après les graves incidents de la nuit du 27 au 28 février 2020 (morts de 35 soldats turcs par un bombardement aérien (russe ou syrien ?) et la spirale des représailles qui fait monter la tension de plusieurs crans.
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« C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger »5. Comprendre avant de juger, comme le souligne Albert Camus. C’est ce qui fait manifestement le plus défaut à cette mauvaise troupe des quatorze francs-tireurs qui ne sait manifestement pas ce dont elle parle et qui ne connait pas la signification des mots qu’elle utilise6. Le prix Nobel de littérature 1957 avait, une fois encore bien analysé la situation, lorsqu’il estimait que mal nommer les choses, c’était ajouter aux malheurs du monde. Nos ministres courageux sont entièrement déconnectés des réalités du terrain. Il s’agit d’un pays en guerre qui veut en finir avec la guerre en éliminant ceux qui ont contribué à la poursuite indéfinie de cette guerre de dix ans. Est-ce utopique que Damas reprenne le contrôle de l’ensemble de son territoire ? Est-ce extravagant que les terroristes ne soient pas traités avec le moindre égard ? L’homélie de cette bande de Pieds Nickelés est interminable, preuve qu’ils ne maîtrisent pas leur sujet. En creux, elle démontre que l’Europe est l’idiot du village mondial (Cf. la crise du coronavirus). Programmée pour aller en « enfer, là où il n’y a pas de pourquoi » (Primo Levi). Tout ceci est ridicule pour ne pas dire pathétique. Horresco referens ! Le moins que l’on puisse dire est que ces quatorze ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne sont parfaitement étrangers aux affaires qu’ils traitent.
Ali Baba
2 mars 2020
Notes
1 Richard, Labévière, Idlib outragé, Idlib martyrisé, mais Idlib libéré !, , www.prochetmoyen-orient.ch , 24 février 2020.
2 Quatorze ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne, Nous appelons le régime syrien et ses soutiens, notamment russes, à la cessation des hostilités, Le Monde, 27 février 2020, p. 28.
3 Jean-François Marmion (sous la direction de), Histoire universelle de la connerie, éditions Sciences humaines, 2019.
4 Piotr Smolar, Paris et Berlin cherchent une voie diplomatique dans la crise à Idlib, Le Monde, 26 février 2020, p. 7.
5 Albert Camus, Discours de Suède. Prix Nobel 1957, Folio, 2017.
6 Ali Baba, Les mots ont-ils encore un sens ?, www.prochetmoyen-orient.ch , 24 février 2020.
Source : Proche et Moyen-Orient.ch